Elle approche à grands pas, la période de Noël où les gens vont se réunir avec leurs proches pour commémorer une fête importante dans la tradition chrétienne : la naissance de Jésus-Christ… ou peut-être pas ! En fait, la plupart des Nord-Américains et Européens pensent très peu à cet événement lorsqu’ils célèbrent Noël, et étrangement, nombre d’entre eux ne comprennent ni ne savent vraiment quelle est la signification de la Nativité ; ceux et celles qui essaient de vous raconter quelque chose sur cette histoire mêlent bien souvent les détails trouvés dans les évangiles.
Sans entrer dans les subtilités de l’histoire, certains font remarquer que les chrétiens n’ont peut-être pas été les premiers à adopter cette fête.
En effet, personne ne connaît véritablement la date de naissance de Jésus ; les évangiles ne donnent aucun renseignement sur le sujet. Cependant, certains soutiennent qu’avant l’époque où Noël a commencé à être célébré, cette saison festive marquait le solstice d’hiver ainsi que la période du festival romain des Saturnales, en l’honneur du dieu Saturne.
Plus tard au cours du troisième siècle de notre ère, les gens commémoraient le 25 décembre la naissance du soleil invincible ou Sol Invictus, une divinité solaire romaine, et au quatrième siècle, les chrétiens ont peut-être associé la naissance de Jésus à ce jour en particulier.
En enseignant la littérature biblique aux étudiants à l’université, j’ai remarqué que la plupart d’entre eux ignorent que l’histoire de la naissance de Jésus ne figure que dans deux des quatre évangiles, c’est-à-dire chez Mathieu de Luc seulement.
Ils sont encore plus intrigués lorsqu’ils se rendent compte que les deux récits sont dissemblables et que toute tentative d’harmonisation des deux versions des faits s’avère bien précaire.
Par exemple, seul l’Évangile selon Matthieu mentionne l’étoile de Bethléem, la visite des Rois mages (le texte n’indique aucunement qu’ils étaient trois !) et le fait que Joseph et Marie ont dû s’enfuir en Égypteavec leur fils Jésus pour éviter que le roi Hérode (il vécut de 73 avant notre ère à 4 après notre ère) tue l’enfant. On remarque aussi que l’enfant Jésus n’est pas un nouveau-né dans une étable lorsque les mages lui offrent de l’or, de l’encens et de la myrrhe ; la famille est plutôt dans une maison et l’enfant avait environ deux ans – le récit du massacre des petits enfants par Hérode nous donne possiblement un indice de l’âge approximatif de Jésus. Mais tous ces détails ne figurent pas dans la description que l’Évangile selon Luc fait de la naissance de Jésus, qui d’ailleurs contient d’autres éléments manquant dans le récit de Mathieu. L’évangéliste Luc ne mentionne aucune visite des mages, aucune fuite de Jésus et sa famille en Égypte, aucune étoile, et aucun massacre de petits enfants par Hérode. Par ailleurs, c’est bien dans l’évangile lucanien que l’auteur présente Jésus emmailloté par sa mère et placé dans une mangeoire – des détails absents du récit de Mathieu. C’est aussi Luc qui fournit l’information au sujet de la visite des bergers et de la présentation de Jésus au temple.
Il importe aussi de signaler que dans une perspective historique, Jésus n’est vraisemblablement pas né à Bethléem, mais plutôt à Nazareth. Les auteurs Mathieu et Luc placent la naissance à Bethléem pour des raisons théologiques : selon les prophètes, le sauveur devait être de la descendance de David et naître à Bethléem. Selon la tradition hébraïque, David, qui vécut approximativement au début du Xᵉ siècle avant notre ère, est un personnage d’une grande en tant que deuxième roi d’Israël. Même l’auteur de l’Évangile selon Luc fera déplacer la famille de Jésus de Nazareth à Bethléem au moyen d’un recensement – un événement qui n’a pas été confirmé dans l’histoire –, pour faire naître Jésus dans la ville du roi David. En fait, dans le reste des récit évangéliques, on parle de Jésus de Nazareth, et non pas Jésus de Bethléem !
Ces quelques aspérités montrent bien que ces textes ne devraient pas être abordés comme des narrations d’événements historiques, mais plutôt comme des récits mythologiques semblables à ceux des naissances extraordinaires d’autres personnages importants du monde gréco-romain comme Alexandre le Grand, César Auguste et bien d’autres encore.
Même si les gens savaient que de telles figures n’avaient pas été conçues grâce à des moyens surnaturels, ces histoires fictives servaient à donner de l’espoir en période de crise politique et économique, ainsi qu’à légitimer les actions de personnages qui auraient été choisis par les dieux pour accomplir une mission importante.
Il faut aussi avouer, cependant, que l’histoire de Jésus de Nazareth a fait en sorte que les chrétiens de toutes dénominations réclament aussi leur part de la Palestine, tout comme les juifs et les musulmans. En effet, les villes de Bethléem et de Nazareth arborent des célébrations de la fête de Noël, et Jérusalem, où le prophète de Nazareth est décédé, fait également partie des lieux sacrés du christianisme.
D’ailleurs, la fameuse déclaration de Jérusalem comme capitale de l’état d’Israël est bien plus qu’une simple décision politique de la part de Donald Trump. Plusieurs ignorent que ce geste vise à plaire aux membres de la base évangélique de son électorat. En effet, un grand nombre d’évangéliques estiment que Jérusalem est la capitale d’Israël d’après les récits bibliques, et que cette ville doit jouer un rôle prépondérant à la fin des temps. Selon leur interprétation de certains textes de la Bible, plusieurs évangéliques croient que nous sommes à l’aube du retour de Jésus où les croyants seront enlevés au ciel (ce qu’ils appellent l’« enlèvement de l’Église »). Parmi les signes menant au second retour du Christ sur terre, maintes évangéliques croient que les Juifs reconstruiront à nouveau leur temple sacré, qu’une série de tribulations et d’événements catastrophiques doivent s’abattre sur terre, qu’un personnage politique que la Bible dénommé l’Antéchrist doit faire son apparition, et que les hommes se livreront à une guerre finale que le livre de l’Apocalypse appelle « Harmageudôn ». Or, pour certains groupes évangéliques, la décision de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël permettra à l’état hébreu de mettre en place une stratégie pour la reconstruction de leur temple. C’est d’ailleurs l’événement nécessaire qui, pour certains croyants évangéliques, déclenchera le retour du Christ sur terre et conduira le monde au jugement dernier.
Une telle vision du monde est aussi ancrée dans le récit de la naissance de Jésus tel que présenté dans l’Évangile selon Luc, où il est prophétisé que le Messie promis viendra délivrer son peuple de ses ennemis. Or, puisque certains croient vivre à l’aube de l’accomplissement de telles promesses, ils travaillent avec acharnement à s’assurer que l’Amérique soit un allié de l’état d’Israël, tout cela en vue de faciliter la réalisation des prophéties bibliques. Il n’est donc pas étonnant que des membres de certains groupes évangéliques aient réussi à s’immiscer dans le paysage politique américain ! Il y a, certes, un grand danger lorsque des décisions politiques sont influencées par des croyances religieuses.
Heureusement, tout le monde n’a pas besoin de croire à la réalité historique du récit de la naissance de Jésus pour bien profiter de la fête de Noël. Et nul besoin d’adhérer aux interprétations eschatologiques de certains croyants pour apprécier la période des fêtes !
Il suffit de voir l’histoire de la naissance de Jésus comme un récit fictif, un peu à la manière dont on aborde des récits littéraires. Pour certains encore aujourd’hui, l’histoire de Noël semble toutefois nourrir l’espoir d’un monde nouveau. Quelle que soit notre perspective sur l’historicité des événements entourant la naissance de Jésus, il importe de comprendre pourquoi certaines personnes accordent une signification religieuse à Noël, et comment cette fête s’est progressivement intégrée à la tradition chrétienne.
Avec weforum