Sans en-tête et visiblement sans relecture, le rapport de la Commission de la CEDEAO, qui a fuité en ce début de semaine, dresse un tableau «furtif» des implications juridiques, géopolitiques et économiques en cas de confirmation de l’adhésion du Maroc au bloc ouest-africain. Mais sur un «fonds diffus», il livre pourtant de précieuses indications sur le cheminement du processus et surtout, sur les préoccupations de la Commission de la CEDEAO quant à la concrétisation de cette première en son sein. Entre implications positives et négatives, en voici les détails.
«L’analyse montre que si l’élargissement de la CEDEAO au Maroc peut potentiellement apporter de la valeur ajoutée à l’économie sous régionale, renforcer la stabilité de la sous-région ainsi que l’influence du bloc CEDEAO, il y a toutefois lieu de se pencher de près sur certaines implications négatives».C’est ainsi que la commission de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) résume stratégiquement le projet d’adhésion du Royaume du Maroc à l’ensemble sous régional, dans un rapport qui a fuité en ce début de semaine, et qui est vraisemblablement toujours en cours de finalisation.
«La [51ème] Conférence [des Chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO qui s’est tenue le 4 juin 2017 au Libéria, NDLR]donne son accord de principe pour l’adhésion du Maroc, eu égard aux liens forts et multidimensionnels avec les Etats membres. Elle a instruit la Commission d’examiner les implications d’une telle adhésion conformément aux dispositions du Traité Révisé de la CEDEAO et de lui soumettre les résultats à sa prochaine session», rappelle d’emblée le document.
Sans en-tête, et visiblement sans relecture, le document dresse un tableau «furtif» des implications juridiques, géopolitiques et économiques en cas de confirmation de l’adhésion du Royaume chérifien au bloc ouest-africain. Mais sur un «fonds diffus», il livre pourtant de précieuses indications sur le cheminement du processus et surtout, sur les préoccupations de la Commission de la CEDEAO quant à la concrétisation de cette première en son sein.
En effet, comme le souligne le document, il s’agirait bel et bien d’une première, l’éventualité de l’élargissement de la Communauté n’étant même pas envisagée par son texte fondateur, ni par sa version révisée en 1993. «Sur le plan institutionnel, le Traité révisé de la CEDEAO est silencieux sur le droit d’adhésion», ne manque pas de souligner le rapport, s’en remettant aux principes de la Convention de Vienne sur le Droit des Traités pour donner la «solution» en termes de droit international : «[Selon] l’article 35 de la Convention de Vienne sur le Droit des Traités, il ressort en substance qu’ “une obligation naît pour un Etat tiers d’une disposition du Traité, si les parties (originaires) à ce Traité ont entendu créer l’obligation et si l’Etat tiers accepte expressément par écrit cette disposition” ; en l’espèce c’est ce que sollicite le Maroc qui accepte du coup de se soumettre entièrement au Traité de la CEDEAO et donc devient membre de la CEDEAO par le droit d’adhésion ; l’adhésion étant l’acte par lequel un Etat qui n’a pas signé le texte du Traité originaire exprime son consentement définitif à être lié à par ledit Traité».
A lire les premières pages du rapport, l’on se rend compte de la célérité de l’initiation effective du processus d’adhésion, et à quel point cette dernière pose des questions «existentielles» à l’institution ouest-africaine. Ainsi pour la Commission de la CEDEAO, il s’agit «d’envisager dans quelle mesure la faisabilité juridique d’une telle adhésion est possible ; d’en déterminer les modalités et de se prononcer clairement sur le fait de savoir si les conséquences multidimensionnelles de cette adhésion ne ruinent pas le but et l’objet du Traité de la CEDEAO et si besoin en était de trouver des solutions palliatives acceptables». Une remise en question qui d’ailleurs se reflétera également dans le volet économique qui suivra dans cette étude du projet d’adhésion du Maroc, qui conclut noir sur blanc qu’«en tout état de cause, il n’y a pas d’obstacle légal dirimant à l’adhésion de ce pays au traité révisé de la CEDEAO», et ce, sur les plans juridique, politique et économique, même s’«il importe de rappeler qu’après le Maroc, d’autres pays pourraient demander à adhérer à la CEDEAO. La CEDEAO devrait donc réexaminer de plus près ses préconditions d’adhésion».
Sur les plans économique, politique et commercial, voici les implications spécifiques à l’adhésion du Maroc à la CEDEAO telles qu’identifiées par le document de la Commission :
Volet politique : paix et influence, le dossier du Sahara à «anticiper» par la CEDEAO
L’armée marocaine, un précieux apport pour le maintien de la paix
«Les capacités militaires, d’équipement et la capacité économique du Maroc seront un atout important aux efforts régionaux de paix, de sécurité et de stabilité de la CEDEAO, notamment dans les domaines des opérations de maintien de la paix, de lutte contre le terrorisme».
Le dossier du Sahara en épouvantail
«En tant que bloc régional, la CEDEAO devrait anticiper la manière de traiter la question du territoire du Sahara Occidental, car elle constitue un potentiel facteur qui pourrait créer des divisions entre les États membres actuels dans le cas où le Maroc se verrait accorder l’adhésion au bloc régional».
Libre circulation des personnes : la variable migratoire
«La libre circulation des personnes est une réalisation clé pour la CEDEAO qui doit être pleinement mise en œuvre dans tous les États membres».
Volet économique : la synergie entre le Maroc et le Nigéria en locomotive
Conformité au «Maastricht» ouest-africain
«Le Maroc respecterait la plupart des critères de convergence, si elle était actuellement membre de la Communauté ; les tendances passées et à venir n’indiquent aucun risque majeur sur l’économie marocaine».
Monnaie unique, pas plus de contraintes qu’aujourd’hui
«Il y a aussi de signaux positifs indiquant que les efforts déployés au niveau sous régional en vue de l’établissement d’une monnaie unique ne seront pas négativement affectés par l’introduction d’une nouvelle monnaie dans la structure monétaire actuelle de l’Afrique de l’Ouest».
Industrie : le Maroc, source d’émulation et de mise à niveau
«En raison de la différence de niveau de développement industriel entre le Maroc et les Etats membres actuels de la CEDEAO, il est nécessaire de mettre en place des mesures de mise à niveau pour les industries nationales dans les Etats membres».
Investissement : win-win à tous les niveaux
«L’attractivité des investissements de la CEDEAO en général pourrait également s’accroître, de même que celle du Maroc».
Volet commercial : le Maroc d’emblée plus «ouvert»
La CEDEAO actuellement plus protectionniste
«En termes d’échanges commerciaux, la CEDEAO est en moyenne significativement plus protectionniste à l’égard du Maroc que le Maroc ne l’est à son égard».
Libre échange : comment gérer les accords au sein de l’accord ?
«Les multiples accords d’association et l’accord de partenariat économique sont des accords différents dans leur nature, qui de ce fait nécessitera éventuellement de longues négociations et d’importants efforts de rapprochement».
«Une renégociation de l’Accord d’association entre le Maroc et l’Union européenne semble plausible pour tenir compte de la situation particulière du Maroc au sein de la CEDEAO, dans la perspective de l’introduction progressive de cet accord dans l’APE».
L’effet «distorsif» du Maroc
«Les multiples autres régimes préférentiels du pays pourraient avoir sur le TEC de la CEDEAO des effets distorsifs s’ils étaient conservés tels quels, à l’image des APE d’étape signés par la Côte d’Ivoire et le Ghana. Le Conseil de la CEDEAO devrait donc prendre une décision pour lever cet obstacle, conformément à l’article 39 du Traité relatif au détournement des flux commerciaux. Ces accords devront probablement être renégociés».
Union douanière : un laborieux exercice d’harmonisation
«Le Maroc ambitionne de devenir membre de la CEDEAO. Cette aspiration impliquerait que le Maroc opère un certain nombre de réformes en matière de politique commerciale, y compris l’adhésion au SLEC (Schéma de libéralisation des échanges de la CEDEAO) et l’adoption du Tarif Extérieur Commune (TEC) de la CEDEAO».
Agriculture : lait et élevage, le cas pratique du rapport
«Le marché de l’élevage et des produits laitiers au Maroc semble offrir une opportunité lucrative pour le secteur de l’élevage dans les États membres actuels de la CEDEAO (…) l’adhésion du Maroc, dans l’hypothèse d’une exonération douanière totale pour le commerce intra-communautaire, y compris pour les produits laitiers, pourrait transformer son marché des produits laitiers en stimulateur du développement du secteur laitier en CEDEAO».
La véritable étude d’impact reste à venir
En conclusion du document, les auteurs ne manquent pas de souligner la pression qu’a exercée le manque de temps sur leur travail. «Faute de temps, une analyse exhaustive des implications en termes de recettes (gains ou pertes) pour chaque État membre de la CEDEAO n’a pu être faite», indiquent les auteurs.
Avec latribuneafrique