Selon une étude que nous dévoilons ce jeudi, 85 % des responsables du personnel sont préoccupés par la consommation de produits psychoactifs de leurs employés.
Comment distinguer le festif — un pot au boulot, c’est sympa — de l’addiction réelle à l’alcool qui engendre de gros problèmes de performance au travail et des soucis de santé ? Comment savoir si ce chirurgien, d’apparence si compétent, qui va vous opérer, n’abuse pas d’anxiolytiques pour tenter de se débarrasser de son stress ? C’est sur ces thèmes, mais pas seulement, que des spécialistes de l’addiction, des dirigeants d’entreprise et des cadres de l’administration débattront aujourd’hui à l’occasion d’un colloque tenu à Paris, à l’occasion de la Journée nationale de prévention des conduites addictives en milieu professionnel.
L’affaire de la clinique d’Orthez (Pyrénées-Atlantiques) a marqué les esprits. C’était il y a un peu plus d’un an, le 26 septembre 2014. Une anesthésiste belge, Helga Wauters, est sous l’emprise de l’alcool au moment où elle entre dans la salle d’accouchement pour pratiquer une péridurale sur une Britannique de 28 ans. Une césarienne doit être réalisée, mais elle rencontre un problème avec le matériel et ne réussit pas un geste, confondant les voies digestives et respiratoires. L’instruction — en cours — dira si l’anesthésiste est responsable ou pas du décès de la patiente, ou si l’organisation des soins de la clinique était défaillante. Une chose est sûre, l’expertise a montré qu’elle avait consommé de l’alcool en quantité très importante au cours des quarante-huit heures précédant l’accouchement, notamment de la vodka. Le procureur étudie en ce moment onze autres dossiers de patients décédés sur lesquelles elle était intervenue.
Certains professionnels ont déjà pris les devants. Les anesthésistes, dont 1 à 5 % seraient dépendants aux produits psychoactifs selon des études internationales, sont parmi les plus mobilisés dans ce domaine. « Nous avons mis en place un numéro vert (0.800.00.69.62) à la disposition des médecins concernés et de leur entourage. Ils peuvent anonymement remplir un test d’évaluation pour voir s’ils sont ou non en état de dépendance aux produits. Dans ce cas, ils sont aidés et orientés », explique le docteur Max Doppia, anesthésiste au CHU de Caen (Calvados) et membre du Syndicat national des praticiens hospitaliers des anesthésistes réanimateurs.
En dehors de ces cas aux conséquences terribles, la Mildeca attire l’attention sur un phénomène nouveau : à force de vouloir être performant à son job, dans un contexte de forte tension sociale, on voit émerger une forme de dopage au boulot qui va du simple produit vitaminé… à la prise de stupéfiants. A quand des tests de détection dans les bureaux ?
Danièle Jourdain-Menninger, présidente de la Mildeca *, analyse les résultats de l’enquête sur la consommation de produits dopants au travail.
Les Français, dans le monde du travail, sont-ils accros aux produits ?
DANIÈLE JOURDAIN-MENNINGER. C’est un sujet de préoccupation, en tout cas. L’enquête que nous avons fait réaliser auprès des dirigeants et des représentants du personnel sur la consommation de produits psychoactifs (alcool, tabac, cannabis…), dans le monde du travail, montre qu’une grande majorité d’entre eux sont préoccupés par l’impact de ces substances dans la vie des entreprises ou dans celle des services publics.
Quels sont les principaux problèmes identifiés ?
La consommation d’alcool reste le principal souci. Il génère beaucoup d’absentéisme, des retards fréquents, et des conflits entre salariés. La e-cigarette au travail est un sujet émergent qui peut provoquer des tensions entre collègues de bureau, mais cela reste marginal. En revanche, un dirigeant sur dix évoque le problème de l’usage de cannabis dans le monde professionnel, ce qui entraîne des baisses de la productivité et des retards. Tout cela pose aussi des graves problèmes de santé publique.
Que voulez-vous faire ?
Il y a un déni sur ce sujet en France. On tire la sonnette d’alarme car cela peut aboutir à des drames terribles, comme on l’a vu, hélas, dans l’affaire de la clinique d’Orthez. Cela a créé un choc. Nous voulons donc davantage repérer les conduites individuelles à risque. Nous allons donc former l’ensemble des 6 000 médecins du travail pour qu’ils repèrent les conduites addictives et orientent les personnes concernées vers les bons dispositifs de prise en charge. Cela permettra de faire baisser le nombre d’interruptions temporaires de travail et de limiter les accidents.
* Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives.