En octobre, l’Union européenne a annoncé un plan d’investissements de 40 milliards d’euros (47,6 milliards de dollars) en Afrique, un « Plan Marshall » pour le continent qui est censé stimuler la croissance économique, créer des emplois et finalement ralentir la migration des jeunes Africains vers l’Europe. « Les mots ne vont pas convaincre les migrants de rester chez eux », a déclaré le Président du Parlement européen Antonio Tajani. « Nous devons leur donner une chance d’avoir une vie décente. »
Tajani a raison. Malheureusement, son approche n’est pas la bonne.
Depuis près de 60 ans, les gouvernements étrangers, un grand nombre d’entre eux étant des gouvernements européens, ont versé des sommes d’argent importantes à l’Afrique, sans obtenir grand-chose en retour. Des solutions durables aux défis du développement en Afrique ont besoin de financement, c’est certain, mais elles exigent également de reconsidérer les relations avec les partenaires étrangers. Et la relation entre l’Afrique et l’Europe pourrait bien exiger le plus important de tous les remaniements.
Le problème est beaucoup plus fondamental que l’argent : on pourrait même dire qu’il s’agit d’un problème philosophique. L’Afrique et l’Europe ont une très ancienne relation, porteuse de complexité et de douleur. L’Europe a imposé son système de gouvernance, de valeurs et plus récemment ses approches commerciales, en affirmant depuis longtemps que les Africains doivent être formés, pour moderniser et pour renforcer le « développement des compétences. » Ce partenariat condescendant a fait son temps et il est crucial que nous changions cette dynamique.
Des réunions comme le cinquième sommet de l’Union africaine – Union européenne, qui a pris fin la semaine dernière à Abidjan en Côte d’Ivoire, sont un bon début. La réunion, qui portait sur « les investissements dans la jeunesse », donne un coup de projecteur sur les liens complexes entre les parties prenantes. Une seule conclusion a été claire : la réponse actuelle de l’Europe pour traiter le problème des migrations en provenance de l’Afrique est périmée. Si la stratégie de l’Europe pour résoudre ses problèmes de migration s’appuie uniquement sur l’argent, elle va échouer.
Nous sommes loin de la dynamique asymétrique qui définissait les relations entre l’Afrique au cours de l’ère coloniale. Aujourd’hui, l’Europe a peut-être davantage besoin de l’Afrique que l’Afrique a besoin de l’Europe, surtout si l’on considère le capital humain.
Au cours des 15 prochaines années, près de 440 millions d’Africains vont entrer sur le marché du travail, comparativement à 72 millions en Europe. Les demandeurs d’emploi africains auront besoin de travail et l’Europe aura des emplois. Le vieillissement de la population met déjà la pression sur la croissance de l’Europe et les postes vacants sont appelées à se multiplier suite au rétrécissement du bassin de travailleurs. Il est même fort possible qu’à long terme les jeunes Africains paient pour le régime de retraite des Européens. Ces différences démographiques soulignent les avantages potentiels d’une redéfinition des relations économiques et politiques.
Sans migration, la politique de redistribution, dont dépendent les États-providences européens, sera incapable de résister à l’actuel taux de vieillissement. Non seulement il sera de plus en plus difficile de trouver du personnel pour s’occuper de la population vieillissante ; mais en outre obtenir des revenus suffisants pour financer les systèmes de sécurité sociale va devenir également de plus en plus difficile à mesure que le taux de dépendance va augmenter. Les politiques migratoires qui mettent l’accent sur la mobilité sont essentielles pour soutenir les industries européennes, la consommation des ménages et en fin de compte le financement des prestations sociales.
Parce que les concurrents stratégiques comme la Chine et l’Inde ont déjà identifié le potentiel de capital humain de la jeunesse africaine, l’Europe doit agir rapidement pour attirer et conserver – plutôt que repousser – les professionnels africains. Parmi les 375 000 étudiants de tout le continent qui étudient à l’étranger chaque année, un grand nombre vont fonder leurs propres entreprises et trouver leur place dans une économie mondialisée après l’obtention de leur diplôme. Il y a déjà une concurrence croissante aux États-Unis, au Canada, en Chine, au Moyen-Orient et en Afrique pour attirer ces étudiants hautement qualifiés et mobiles.
Tout comme l’Europe du XVIème siècle avait besoin de l’or de l’Afrique, l’Europe du XXIème siècle ne peut pas se passer de la diaspora africaine. Quelle autre région du monde peut offrir un potentiel de marché similaire pour les industries européennes face à une baisse de la demande et ou de la faible croissance, aussi bien sur leurs marchés d’exportation nationaux que traditionnels ?
C’est pourquoi il est plus important que jamais que l’Europe ne s’engage pas dans des comptes d’apothicaire, pour lesquels d’autres économies apparaissent toujours les plus fortes. Au lieu de cela, l’UE doit s’engager dans des projets d’emploi mutuellement bénéfiques, qui s’appuient sur les personnes et les cultures des deux continents, notamment à travers le transfert de compétences.
La reconnaissance par l’Europe de son besoin de l’Afrique est un changement de paradigme nécessaire qui conduira, espérons-le, à une collaboration raisonnée. Dans un monde de plus en plus incertain, l’Afrique et l’Europe peuvent définir les bases d’un partenariat plus intelligent en modifiant la base de leur coopération.
L’échec en cette matière sera coûteux. Mais la plus grande partie de ce coût sera supporté par l’Europe. Avec d’autres partenaires qui courtisent déjà les talents africains, ce n’est pas l’Afrique qui sera le plus durement touchée par les opportunités manquées.
Avec weforum