Chers amis de la presse nationale et internationale,
J’aimerais, pour commencer, saluer votre présence à cette conférence de presse.
J’ai souhaité vous rencontrer pour revenir, avec vous, sur les raisons qui ont motivé le retrait de ma candidature à l’élection présidentielle du 25 octobre 2015.
Depuis l’annonce de ce retrait, de nombreux Ivoiriens se sont inquiétés de ce que je ferais désormais. Je tiens à les rassurer. J’ai des projets pour éclairer le futur de la Côte d’Ivoire.
Premier point donc, les raisons qui ont motivé le retrait de ma candidature. J’ai indiqué à plusieurs reprises que je ne suis ni obsédé par la comédie du pouvoir ni impressionné par ses attributs. Qu’est-ce qui, dans ces conditions, m’a finalement décidé à sortir de ma retraite pour me porter candidat à ce scrutin présidentiel ?
Ce n’est certainement pas la voix de la foule persuadée d’un succès inéluctable de ma candidature, mais la voix du peuple de Côte d’Ivoire, exposé aux dangers d’une nouvelle élection aux conditions calamiteuses. J’ai souhaité partager avec mes concitoyens une vision pour la Côte d’Ivoire. La vision d’un pays de nouveau paisible et réconcilié avec lui-même. La vision d’une société unie et solidaire, respectueuse des règles qu’elle se donne. La vision d’un État plus fort, parce que plus juste, un État de droit au service des Ivoiriens.
J’ai voulu communiquer aux Ivoiriens un peu de ce que j’avais moi-même reçu du président Houphouët-Boigny, à savoir un modèle social républicain qui a fait le succès et la bonne réputation de notre pays.
J’ai voulu rappeler aux Ivoiriens le rôle protecteur de la loi, en employant toutes les voies légales de contestation, à commencer par l’introduction auprès du Conseil Constitutionnel d’une requête en inéligibilité du président-candidat sur la base des dispositions de notre Constitution. Le texte de la Constitution rend inéligible le président-candidat tant qu’il n’est pas amendé. L’annonce faite par le président-candidat, d’une modification prochaine des dispositions de la Constitution qui lui ont été opposées, confirme son malaise, c’est par là que tout
aurait dû commencer. L’artifice de la «candidature par dérivation» est insoutenable.
Sur ce point de la restriction des conditions d’éligibilité, j’ai personnellement une lecture plus ouverte de la citoyenneté que ne le prescrit notre loi fondamentale.
Cependant, je considère comme impératif de respecter l’esprit et la lettre de notre Constitution, lesquels prévoient de donner la parole aux Ivoiriens pour toute réforme constitutionnelle.
J’ai voulu montrer que la prévention des conflits électoraux et post-électoraux, parce qu’elle assainit le climat de préparation d’un scrutin, est toujours plus
efficace que dans l’après-coup de la contestation des fraudes. L’actualité politique de la Guinée voisine où l’opposition dénonce sur le tard les dysfonctionnements de l’outil électoral, en témoigne.
Le débat suscité chez nous, par le président-candidat dans sa campagne contre lui-même, confirme le bon fondement des interrogations de tout un chacun sur la crédibilité d’une CEI qui incarne, à la caricature, un « Ministère des Élections ».
Une CEI spectatrice engagée, muette et complice de la violation des dispositions de la loi électorale par le président-candidat. Une CEI qui, par favoritisme,
cautionne une campagne hors-la-loi, au cours de laquelle le président-candidat s’approprie les couleurs nationales sur tous les supports d’affichage alors que la loi électorale l’interdit formellement, et va jusqu’à utiliser les véhicules de service de l’État comme médias roulants. Une CEI sourde aux dérapages verbaux des soutiens du président-candidat qui, par exemple, détournent les paroles de «Akobo poussière», un air populaire baoulé, en «après ADO poussière» et tournent en dérision ses adversaires au son de «Essy Amara, poussière», pour ne retenir que le mésusage de mon seul nom… Dois-je rappeler une fois de plus que la loi électorale interdit aux candidats et à leurs équipes, le traitement dégradant des autres candidats ?
Notre pays a, aujourd’hui plus qu’hier, besoin de repères.
J’ai, quant à moi, voulu inculquer une conception plus vertueuse et plus égalitaire de la gestion publique et promouvoir une vision éthique de la politique, en mettant en cause, dès le départ, une Commission Électorale et un Conseil Constitutionnel aux ordres.
J’ai voulu démontrer aux Ivoiriens qu’une politique pour tous reste possible. À condition de dépasser les frontières de son groupe ethnique, les frontières de son clan, les frontières de sa famille, les frontières mêmes de son couple. À condition de ne pas rechercher son profit personnel ou celui de son entourage immédiat, c’est-à-dire d’une poignée d’individus qui s’accaparent le bien public. À condition
de privilégier la consolidation de l’État, plutôt que celle de son pouvoir personnel.
Je note, aux vues du très faible taux de retrait des cartes d’électeurs (moins de 30 % aujourd’hui), que les Ivoiriens ne se sentent pas concernés par cette parodie d’élection. Nous nous acheminons vers l’élection la plus impopulaire de notre Histoire. La crise des institutions électorales va accentuer la crise de la représentation qui s’est ouverte avec la guerre post-électorale de 2011, alors que l’élection organisée quelques mois plus tôt avait enregistré un record de participation et s’était déroulée dans un climat consensuel voire festif, jusqu’à la proclamation des résultats du second tour. Ce n’est pas bon signe.
Nous aurions pu éviter une telle impasse si nous nous étions donné l’opportunité d’un dialogue véritablement inclusif entre tous les acteurs, l’opportunité d’une élection véritablement disputée.
Nous n’aurions pas eu à redouter l’hypothèque des protestations, si nous nous étions donné le temps d’assainir le jeu électoral et d’en garantir la transparence et la régularité. La concentration de huit mille hommes en armes annoncée à l’Ouest pour sécuriser le scrutin dans cette région meurtrie ne va pas renforcer la sérénité des électeurs potentiels.
Dans ces conditions et étant donné toutes les anomalies déjà relevées par ailleurs, j’appelle les Ivoiriens à exprimer leur refus de se voir confisquer leur démocratie, en s’abstenant massivement de participer à une élection gadget. Une élection dans laquelle leurs voix ne comptent pas.
Je disais précédemment que j’ai des projets pour éclairer le futur de la Côte d’Ivoire. Je prendrai le temps d’organiser une suite formelle au mouvement de sympathie qui s’est constitué autour de mon projet La Côte d’Ivoire retrouvée. Je donnerai corps à l’engagement pris devant les Ivoiriens de participer activement à un développement partagé dans notre pays. Je continuerai à défendre pacifiquement les libertés publiques, le renforcement de l’État de droit et l’expression démocratique de nos concitoyens. Je participerai à la réflexion sur des sujets d’intérêt national pour consolider ce qu’il y a de meilleur dans l’héritage reçu du président Houphouët-Boigny, plutôt que de joindre ma voix aux incantations sur une émergence que nous savons tous bien illusoire.
Je vous remercie pour votre attention.