Un projet de création d’entreprise comporte deux dimensions : d’un côté le projet et ses caractéristiques (secteur, taille, nouveauté pour le marché, etc.) et de l’autre le porteur de projet (nature de ses motivations et de son projet de vie, ses compétences, ses ressources, etc.). La logique d’accompagnement consiste alors à identifier si le projet envisagé est à la fois potentiellement pérenne et en adéquation avec les ambitions, valeurs, ressources du porteur de projet. À toute période de sa vie ce critère d’un projet potentiellement viable et qui corresponde au projet de vie de l’entrepreneur est essentiel.
Cependant l’extraordinaire variété des entreprises créées montre qu’il existe plus d’un modèle de création et donc aussi plus d’un modèle de créateur. C’est ainsi que coexistent des créations avec très peu de moyens et d’autres qui disposent d’importants financements : 23 % des entreprises sont créées avec moins de 4 000 euros quand 30 % le sont avec plus de 40 000 euros. De la même manière, il existe des créateurs très qualifiés et d’autres sans formation, des jeunes, mais aussi des plus âgés. Si l’on observe le taux de pérennité moyen de cet ensemble fort disparate, on découvre que les créations d’entreprises sont beaucoup plus pérennes qu’on ne pourrait le croire a priori. Au bout de trois ans, 70 % des entreprises créées sont encore debout !
Selon une étude datée de janvier 2017 de nombreux français rêvent de créer leur entreprise malgré la morosité économique : 19 % affirment clairement leur envie de créer leur entreprise. Une autre enquête de 2016 montrait que 21 % des Français souhaitaient créer ou reprendre une entreprise (environ 10 millions de personnes). Le projet de devenir entrepreneur devrait donc être considéré comme raisonnable et accessible. Mais une faible proportion seulement passe à l’action : environ 500 000 entreprises sont créées chaque année, soit seulement 5 % d’entre eux.
Les seniors entrepreneurs
Parmi ceux-ci les seniors constituent une catégorie amenée à se développer étant donné le vieillissement de la population et les enjeux socio-économiques de la fin de carrière. Au niveau mondial une enquête menée entre 2009 et 2016 dans 104 pays (plus d’un million et demi de personnes interrogées) permet de prendre la mesure du potentiel de l’entrepreneuriat des seniors. Le taux d’activité entrepreneuriale (part des adultes sur le point ou venant de créer une entreprise) est similaire parmi les moins de 30 ans et les 30 à 49 ans, autour de 13 %. Mais il s’effondre de moitié dans la tranche des 50/64 ans avec seulement 7 %.
En France les plus de 50 ans représentent 22,3 % des créations d’entreprise, pour des taux de réussite relativement similaires : 71,3 % à trois ans tous âges confondus, 70,5 % pour les créateurs ayant passé les 50 ans. Pour cela ils disposent, pense-t-on, à la fois de plus de libertés et de plus de ressources que les plus jeunes…
L’examen de la situation des porteurs de projet de plus de 50 ans en France permet de mieux comprendre la capacité des entrepreneurs âgés à contribuer de manière significative au développement de nouvelles entreprises. En analysant les données nationales de l’Observatoire des Porteurs de Projet des chambres de commerce et d’industrie (7300 répondants à l’enquête 2014), nous avions ainsi pour objectif d’identifier si les plus âgés se distinguaient des créateurs plus jeunes, aussi bien dans leurs types de motivations, de projets, mais aussi leurs ressources. Nos résultats interpellent quelque peu certaines idées tenues pour acquises sur les entrepreneurs seniors.
Une catégorie d’entrepreneurs très contrastée
A priori ceux-ci devraient présenter un certain nombre d’atouts non négligeables.
Étant plus âgés, ils peuvent se prévaloir d’une expérience professionnelle plus longue. En principe ils ont donc eu le temps de développer leurs compétences ainsi que leur réseau relationnel et leur légitimité professionnelle.
De même ils bénéficient de ressources financières supérieures, ont moins de contraintes familiales et des motivations qui pourraient être plus positives (appelées motivations « pull », censées améliorer leurs chances de réussite), si l’on part du principe qu’ils ont également eu plus de temps pour mûrir leur projet.
Or l’analyse des données de l’observatoire amène à relativiser ces éléments. Nous constatons globalement que si leurs métiers les placent dans de bonnes conditions pour créer, ils n’en ont pas forcément les moyens. S’ils ont eu du temps pour réfléchir, cela ne les a pas conduits à mieux préparer leur projet. S’ils ont de l’expérience, ils ne prévoient pas de la mobiliser dans leur création. De plus ils ne ressentent pas forcément plus d’urgence à créer… Passons en revue ces différents points.
Le premier point est celui de leur expérience. Celle-ci est forcément plus importante mais on constate que leur niveau de formation initiale est plus faible. Si leur expérience peut les conforter dans leur projet, ce déficit de formation peut les convaincre à une forme d’autocensure au moment de prendre la décision de créer. Nous nous situons dans le même paradoxe lorsqu’il s’agit d’observer leurs situations socioprofessionnelles au moment de leurs projets.
Les plus de 50 ans se situent dans des catégories plus élevées que les plus jeunes :les commerçants, artisans ou cadres sont surreprésentés. Mais les moyens financiers qu’ils déclarent être prêts à consacrer à leur projet ne sont pas toujours suffisamment importants. On constate par exemple que les porteurs de projets de 50 à 59 sont prêts à investir fortement à titre personnel puisqu’ils sont surreprésentés dans la tranche des plus de 30 000 € investis personnellement (soit 18,7 % d’entre eux). Mais ce n’est plus le cas des plus de 60 ans qui eux n’ont que très peu de ressources à investir (41 % d’entre eux envisagent d’investir moins de 1 000 euros). Ceci peut aussi s’expliquer par le choix d’activités de type-conseil moins exigeant sur le niveau des capitaux de départ.
Des projets ailleurs
Mais la surprise vient aussi de la nature de leur projet qui ne s’inscrit pas forcément dans la droite ligne de leur expérience. Les entreprises en projets sont appréhendées plutôt comme le moyen de maintenir une activité ou de faire quelque chose de différent, ce qu’ils n’ont pu réaliser au cours de leur carrière.
La démarche n’est donc pas forcément de capitaliser sur cette expérience, mais plutôt de se construire un univers professionnel différent. Serait-ce une revanche ? Dans ce cas il s’agirait plutôt de réussir financièrement (enfin ?) que de construire un projet durable. Notre enquête montre en effet que chez les seniors le revenu potentiel est nettement plus valorisé que le souhait de construire une structure pérenne.
Enfin, ce qui surprend également, c’est le relatif « amateurisme » de ces créateurs. Nous les aurions pensés plus mûrs et réfléchis que leurs congénères, mais c’est tout le contraire ! Malgré leur expérience, leur projet n’est pas plus avancé que les autres : ils n’y ont pas consacré plus de temps et leur stade d’avancement et de maturation est plutôt plus modeste que pour les plus jeunes. De plus, alors que nous les imaginions ressentir plus fortement une forme d’urgence à créer leur entreprise, il n’en est rien. Ils apparaissent avoir tout le temps pour eux !
Ainsi les plus de 50 ans se distinguent assez peu sur le plan statistique de leurs collègues plus jeunes, résultat pointé également dans l’étude mondiale GEM (Global Entrepreneurship Monitor) précitée qui souligne que malgré la masse d’informations récoltées aux niveaux globaux et régionaux, les données sont finalement assez similaires sur de nombreuses mesures de l’activité et de l’attitude entrepreneuriale quelques soient les classes d’âge.
L’entrepreneuriat et ses conditions
En France l’analyse des quelque 7 000 porteurs de projets de création ou reprise d’entreprise s’adressant aux chambres de commerce et d’industrie chaque année permet cependant de repérer que chaque période de vie présente différents atouts et handicaps pour se lancer, comme le résume le tableau suivant :
Nous constatons qu’il est difficile de faire coïncider l’ensemble des facteurs favorables : motivation, capacité financière, compétences, logique entrepreneuriale, contraintes familiales faibles… La recherche de la « perle rare » pour laquelle « toutes les planètes seraient alignées » n’est pas le bon objectif.
Ainsi en ce qui concerne la démarche d’appui à la création, l’important n’est peut-être pas d’opérer un filtre même inconscient en fonction du potentiel de réussite, pour décourager certains porteurs de projets qui paraissent réunir trop peu d’atouts, mais d’inverser la logique.
Et si on encourageait à tenter toutes les expériences pour se concentrer sur l’accompagnement au rebond après échec ? Vieux ou jeunes, en emploi ou chômeurs, les créateurs ne sont jamais assurés de la réussite, mais, et surtout, leur échec n’est jamais garanti. Accueillir tous les projets et tous les individus, vieux ou jeunes, compétents ou non, idéalistes ou pragmatiques apparaît comme une nécessité absolue. Et si nous abandonnions la recherche du modèle idéal a priori pour consacrer plus de ressources à l’accompagnement de l’échec et au rebond des créateurs.
Jeune et pauvre ou vieux et riche ? Aucune importance pourvu qu’on en ait l’ivresse… et que l’on soit soutenu à l’atterrissage !
Avec weforum