Collecter des numéros de téléphone, mais aussi des informations sur leurs utilisateurs (âge, sexe, profession…) : c’est le pari de la jeune société installée à Ouagadougou qui propose à ses clients des campagnes de publicité ciblées à travers l’Afrique de l’Ouest.
Le SMS fête ses 25 ans en 2017 et il se porte bien. Quelque 8 000 milliards de petits messages électroniques ont été échangés en 2016 ! En Afrique, il a déjà fait considérablement évoluer certains usages et secteurs de l’économie. Les différents services de SMS aux agriculteurs, M-farm ou ICow en Afrique de l’Est, ou Nkalo, leur équivalent en Afrique de l’Ouest, leur donnent de précieuses informations en temps réel (prix de vente et d’achat des fournitures, conseils, météo…).
D’autres permettent de télécharger de la musique au Sénégal via le service MusikBi, tandis qu’en Côte d’Ivoire, OPISMS est une alerte de rappel de vaccins. Les SMS sont également considérés comme un des outils d’organisation privilégiés des opposants politiques, comme les réseaux sociaux. Ce qui leur a valu quelques coupures en rétorsion.
Selon 7 000 détenteurs africains de téléphones mobiles interrogés par le Pew Research Center dans sept pays africains en 2014, l’envoi de SMS arrive loin devant les autres usages (envois de photos ou de vidéos, paiements mobiles, surf sur les réseaux sociaux…).
Réunir plusieurs banques d’information
Au tour de la publicité de s’en saisir ? C’est le pari de deux anciens du service de paiement mobile Lemon Way Africa, Mathias Léopoldie et Charles Talbot, qui ont fait le constat de la faiblesse des campagnes publicitaires pour les petites sociétés africaines.
La télé, la radio, les réseaux sociaux ou les journaux papiers sont soit très coûteux pour des petites entreprises, soit mal adaptés aux marchés africains encore très largement informels.
Parallèlement, plusieurs entreprises ou agences ont développé des fichiers de numéros mobiles qu’elles commercialisent aux annonceurs pour des campagnes de communication par SMS, à l’instar de DFA Communication à Bamako ou Alerte Info depuis Abidjan.
« Chacun avait sa base de contacts, de 10 000 à un million de numéros par agence, dont elles vendaient l’utilisation à des annonceurs, explique Mathias Léopoldie. Mais ces bases sont souvent incomplètes et donnent peu d’informations qualifiées sur les détenteurs de numéros de téléphones. »
La demande de retrait des listes de diffusion : un cas rare
C’est sur ce potentiel colossal de contacts et d’amélioration de la connaissance des usagers que les deux anciens de Lemon Way Africa ont créé Julaya, commerce en bambara. La holding est domiciliée à Ouagadougou depuis septembre et s’est dotée de filiales en Côte d’Ivoire, au Mali et au Sénégal.
En novembre, une cinquantaine de détenteurs de bases de numéros, appelés des « revendeurs », ont accepté de rejoindre Julaya et d’y verser les numéros de téléphone en leur possession. Pour eux, l’intérêt est de ne plus promouvoir leurs seuls contacts à des annonceurs potentiels, mais aussi ceux d’autres revendeurs. Chaque utilisation de « leurs » contacts donne lieu à une rémunération par Julaya.
Le service est déclaré auprès des différentes autorités de protection des données personnelles des usagers
Pas d’inquiétude à avoir côté réglementaire, disent les fondateurs, puisque le service est déclaré auprès des différentes autorités de protection des données personnelles des usagers (APDP au Mali, CIL au Burkina, Artci en Côte d’Ivoire, CDP au Sénégal). En outre, chaque SMS envoyé donne la possibilité aux récipiendaires d’être enlevé des listes de diffusion de Julaya – une possibilité peu fréquente pour ce type de campagne publicitaire en Afrique.
Une progression de 5 à 10% par jour
Début décembre, la plateforme comptait 20 000 contacts, en progression de 5 à 10% par jour. Sauf qu’aux dires des deux fondateurs, les contacts sont cette fois-ci beaucoup plus qualifiés que de simples noms et prénoms associés à un numéro. Désormais chacun des contacts apportés sur la base par les détenteurs de contacts précise la fonction, l’âge, le sexe, le lieu d’habitation…
La société sera rentable lorsque la plateforme contiendra 50 000 noms par pays
« Il s’agit de la même logique que Facebook Ads [l’outil de publicité ciblée du réseau social, NDLR] mais avec un système adapté aux réalités africaines », expliquent les deux fondateurs.
Une soixantaine de campagnes publicitaires ont été réalisées à ce jour via leur plateforme. Des recommandations de paris hippiques, une annonce de recrutement, une campagne de communication interne à une entreprise… 35 000 SMS ont été envoyés via Julaya avec des retours sur investissements éloquents.
Levée de fonds
Ainsi, cet annonceur burkinabè qui a acheté à Julaya pour 30 000 F CFA de SMS pour promouvoir ses offres de formation professionnelle, soit 1 000 SMS à 30 F CFA l’unité. Il a vu 10 personnes acheter la formation promue et totalisé un chiffre d’affaires de près de 190 000 F CFA. « Cela fait un retour six fois supérieur à sa mise », relate Mathias Léopoldie.
Tous les SMS sont pour l’heure achetés par Julaya à Orange, la société prélevant sa commission sur la différence entre le prix auquel elle achète les lots de SMS à Orange et le prix auquel elle les facture aux revendeurs actifs sur sa plateforme – entre 45 francs au Mali et 21 francs en Côte d’Ivoire où la concurrence entre opérateurs est plus grande.
Les deux fondateurs estiment que la société sera rentable lorsque sa plateforme contiendra 50 000 noms par pays. Le modèle intéresse puisqu’un fonds d’investissement a d’ores et déjà pris attache avec Julaya. Les deux associés ont reçu une proposition de l’ordre d’un million de dollars.
Avec jeuneafrique