Face à la menace terroriste, plus question de se contenter des informations fournies par les ex-puissances coloniales. Structures, réseaux, méthodes, formation, coopération… C’est tout leur système de surveillance extérieure que les pays subsahariens doivent construire en urgence.
Les Africains l’ignorent, comme ils ignorent tout en général de ce que fait l’Union africaine, mais cette vénérable institution est depuis une décennie dotée d’une structure aussi discrète qu’aphone, consacrée au renseignement.
Le Cissa (Comité intergouvernemental des services de sécurité africains) a un secrétaire exécutif éthiopien, une poignée de fonctionnaires et un projet de siège à Addis-Abeba, que le président équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema Mbasogo s’est engagé, lors d’une réunion ad hoc il y a trois mois, à financer.
Le renseignement intérieur, l’objectif principal des services secrets africains
Dormez en paix, le Cissa veille ? Voire… Le problème est que la réalité n’a que peu de choses à voir avec les organigrammes : à quelques exceptions près (le Maroc, l’Algérie, l’Égypte et, de moins en moins, l’Afrique du Sud), les services secrets africains sont aussi démunis face aux nouvelles menaces représentées par les groupes terroristes que le sont les armées du continent. Quant aux perspectives d’une mutualisation de leurs apports en ce domaine, elles relèvent pour l’instant de la fiction.
Formées au lendemain des indépendances sur le modèle des services spéciaux des ex-puissances coloniales (et souvent avec leur participation directe), les agences africaines ont presque toujours eu pour objectif unique le renseignement intérieur : surveillance des opposants, détection des « activités antipatrie », traque des fauteurs de troubles (et de putschs) potentiels, etc.
Pendant un demi-siècle, ce fut le règne de la police politique, des espions de quartier, des écoutes téléphoniques bricolées et des fameux BR, ces bulletins de renseignement (ou de délation), souvent manuscrits, adressés au chef de l’État par des « sources humaines » aux pseudos évocateurs, tel cet « Agent Fonceur » qui, pendant des années, intoxiqua l’ancien président centrafricain Patassé avec ses fiches délirantes, avant que ce dernier découvre qu’il s’agissait en réalité… de l’un de ses cuisiniers.
Faute de moyens et d’intérêt, le renseignement extérieur a été totalement laissé en déshérence, restant l’apanage exclusif de la DGSE française, du MI6 britannique, de la CIA américaine ou du Mossad israélien, lesquels retransmettaient aux services africains les informations qu’ils voulaient bien leur donner.
Les attaques jihadistes ont révélé les faiblesses des services de renseignements
De Bamako à Mombasa, de Yaoundé à N’Djamena, le choc de la terreur jihadiste a été brutal. Confrontés à un ennemi multiforme et omniprésent, grand manipulateur de réseaux sociaux et de cellulaires cryptés, les services spéciaux n’ont rien su anticiper, rien vu venir. Il a donc fallu s’adapter dans l’urgence, révolutionner les mentalités, professionnaliser le personnel, apprendre à coopérer avec ses voisins.
Avec effarement, on s’est aperçu que le niveau moyen des agents de renseignements rendait la plupart d’entre eux inaptes à se servir des nouvelles technologies, incapables de trier, synthétiser et analyser l’information. On s’est rendu compte aussi à quel point la précarité de leur rémunération les rendait perméables à la corruption, et quelle était en ce domaine la dépendance des pays africains les plus menacés à l’égard des puissances extracontinentales.
Pourtant, rien ne peut remplacer, en termes d’infiltration, d’écoute et de vigilance antiterroriste, l’action des services d’espionnage africains. Les Tchadiens, les Kényans, les Nigériens, les Mauritaniens, qui ont tout récemment procédé à une modernisation de leur propre communauté du renseignement en recrutant des cadres de haut niveau, l’ont compris.
Eux savent que, pour vaincre l’ennemi, il faut souvent attaquer là où il ne se trouve pas encore – c’est-à-dire « pénétrer » et sensibiliser les populations. De gré ou de force, les autres s’apprêtent à suivre le même mouvement. Les jours d’Agent Fonceur sont comptés.
Avec JeuneAfrique