Le cinquième sommet Afrique-Union Européenne qui s’ouvre aujourd’hui à Abidjan risque de finir comme tous les précédents: sur des voeux pieux (1) et un enterrement de première classe au rythme des teu deum de quelque 5.000 participants dont 80 chefs d’Etat et de gouvernement venus de 55 pays d’Afrique et de 28 d’Europe.
L’actualité dramatique de ces derniers jours semble pourtant avoir imposé la question des flux migratoires comme l’agenda prioritaire. Or jusque-là, l’Europe des 28, unie autour d’un même front, tout en réclamant l’ouverture des frontières des pays africains à ses entreprises, ses investissements, ses touristes et, parfois, ses chômeurs, poursuit une approche répressive des flux migratoires venant de l’Afrique, légaux ou non.
Unie sous un seul agenda, l’Europe des 28 entretient une approche dominante vis-à-vis des 54 Etats africains dispersés sous 54 drapeaux. Si Bruxelles a le sceau et le cachet qui engage tous ses membres, Addis Abeba n’ est, elle, que le symbole d’une Afrique divisée où les lions, “endettés” et à la recherche d’investisseurs , se concurrencent et se dépouillent à coup d’incitations fiscales quand ils ne se mangent pas entre eux.
Les exemples de cette concurrence morbide foisonnent. En Afrique de l’Ouest, le Nigeria s’est retrouvé isolé alors que les autres membres de la CEDEAO (à l’exception de la Gambie) ont ratifié les nouveaux accords de partenariat économique avec l’Europe (APE) en dépit du TEC (tarif extérieur commun) et de l’agenda de la communauté.
Interrogé à l’époque sur l’empressement de la Côte d’Ivoire à signer les APE, l’ancien président Laurent Gbagbo, avait répondu avec son sourire légendaire: “nous ne sommes pas une PMA“(1). En Afrique Centrale, le Cameroun, première puissance économique de la CEMAC (Communauté des Etats de l’Afrique Centrale), a fait cavalier seul pour signer avec l’Europe des 28. La fin des accords de Cotonou (ACP-UE) en 2020 devra marquer le basculement de l’Afrique dans le multilatéralisme où la poursuite d’un tête à tête avec l’UE, responsable même à la marge, de son faible score (3%) dans le commerce mondial.
Dans le Sahel, un G5 a été bien formé (Mauritanie, Niger, Tchad, Mali, Burkina Faso) mais semble avoir créé des tensions avec l’Algérie au Nord (mécontente d’être écartée) et le Sénégal (au Sud) qui caresse désormais l’idée d’une approche unitaire contre le terrorisme au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).
Bref, l’Afrique n’obtiendra rien sans unicité du front. Or, tout porte à croire que c’est l’Afrique des 54 Etats libres et souverains et des 40 monnaies, souvent non convertibles, qui a débarqué à Abidjan et non l’Union Africaine et son agenda 2063. En président de l’UA, le président Alpha Condé, tout aussi charismatique qu’il soit, ne pourra parler qu’en son nom et au nom de son pays. Sa fonction de président en exercice de l’Union Africaine reste symbolique et, c’est un secret de polichinelle, a moins de poids dans le continent que ne l’a la reine Elisabeth II dans son royaume.
Aussi, au delà de l’épaisse fumée médiatique et de la pollution des ondes occasionnée, ce sommet d’Abidjan semble condamné au statu quo des rapports de dépendance et d’inégalité entre les deux continents. Pour l’Europe, c’est l’occasion de renforcer son accès privilégié aux matières premières et aux marchés africains des infrastructures. Gageons que pour l’Afrique, il ne s’agira pas cette fois-ci de négocier des remises de dettes, des lignes de crédit fournisseurs et des appuis du Fonds Européen de Développement (FED) qui, (c’est son rôle et on l’en félicite) a pour mission d’accompagner les entreprises européennes.
Pour l’Afrique nouvelle, la seule question qui vaille, la seule qui peut inverser le rapport de vassalité vis-à-vis de son puissant voisin du Nord, ne viendra pas certainement des solutions humanitaires. La “générosité” du Plan Merckel tout comme l’appel de Gleneagle (1), en passant par l’initiative du G20, les OMD et les ODD, n’ont pas et ne seront pas porteurs de solutions structurelles au chômage et à la sécurité.
La seule question qui peut sauver ce sommet du ronronnement traditionnel est de parvenir à un égal traitement des citoyens européens et africains dans l’un et l’autre sens. Le système asymétrique des visas a créé deux citoyennetés inégales, poussant les élites africaines à s’endetter pour acquérir des nationalités européennes (synonymes du certificat d’affranchissement et du droit de circuler plus librement) à coup d’investissements immobiliers et de virements préjudiciables aux deniers publics.
Pour la grande masse des déshérités africains, qui subit l’échec des politiques de développement, la seule alternative reste l’immigration illégale, tout aussi périlleuse que coûteuse. Les événements dramatiques en Libye ne doivent pas nous faire suivre le raisonnement du président de la Commission de l’Union Africaine, le tchadien Moussa Faki Mahamat, qui compte saisir l’occasion de ce sommet pour exiger des comptes aux libyens.
Au lieu de limiter son horizon sur ce pays fantôme, ne faudrait-il pas plutôt exiger des Etats africains signataires en solo des traités de réadmission ou de centres de traitement de flux migratoires à reconsidérer leurs engagements ? N’est-il pas venu le temps de donner à la Commission Africaine (autre caricature de la Commission de l’Union Européenne, avec tous ses bagages mais sans ses armes) les moyens de fédérer les Etats africains dans leurs négociations avec le reste du monde?
L’engagement de la chancelière allemande d’accueillir 1 million de réfugiés syriens l’a montré, en Europe, l’ouverture aux migrants est synonyme d’impopularité. Accrochés sur leurs éphémères cotes de popularités, les chefs d’Etat du vieux continent ont tendance à rallier les thèses populistes de leurs extrêmes droites quand ils ne les accentuent pas.
Aussi, seule une volonté réelle des Etats africains à travers une unité sans faille et des exigences claires, poussera l’Europe à reconsidérer sa politique migratoire avec l’Afrique. En sous-traitant les aspects incompatibles avec sa démocratie en dehors de ses frontières, à travers des règles de réadmission humilitantes, Bruxelles montre qu’elle est prête à aller jusqu’au bout de sa logique sécuritaire, quitte à tordre la main à ses principes de droits de l’homme pour contenir le flot des migrants loin de ses côtes.
Et l’Afrique, condamnée à concilier économie et démographie (1) , est-elle prête à engager le bras de fer, certes coûteux à court terme , mais forcément libérateur à long terme?