Rachida Dati : Je m’y rends à l’invitation du Président Ouattara pour rendre compte au Président du Parlement européen et à mes autres collègues parlementaires des avancées dans la préparation de ce Sommet, notamment sur les nombreux défis communs à l’Union européenne et au continent africain, comme le projet d’avenir pour la jeunesse, la mise en place d’une bonne gouvernance, la lutte contre le terrorisme, la résolution de la crise migratoire et l’adaptation aux changements climatiques.
Ce Sommet est essentiel car il est le dernier rassemblement important avant la révision des Accords de Cotonou, qui régissent nos relations. Je souhaite, comme beaucoup, que l’objectif de ce Sommet ne soit pas détourné par les revendications illégitimes et illégales d’une minorité. Les sujets dont nous devons débattre sont trop graves pour en être détournés. Comme l’a si bien dit Jean-Claude Juncker, le Président de la Commission européenne, « nous savons bien que nous sommes plus forts lorsque nous travaillons main dans la main. C’est avec ces objectifs bien présents à l’esprit, que nous entamons les préparatifs du cinquième Sommet UE-Afrique ».
À Abidjan vous allez rencontrer en plus des autorités, des représentants de la société civile ainsi que d’autres personnalités du pays mais également françaises. Quel est l’enjeu de ce sommet pour la France qui demeure le principal partenaire européen de la Côte d’Ivoire ?
Les enjeux pour la France sont les mêmes que ceux de l’Union européenne. Nous devons avancer en coopération étroite avec les pays africains pour faire face à nos défis communs : le terrorisme, la radicalisation et la crise migratoire. Nos pays sont tous touchés, des deux côtés de la Méditerranée.
Il est urgent de trouver une solution durable à la crise migratoire. Derrière ce drame, c’est la question de la jeunesse africaine qui se pose, car c’est elle qui constitue l’essentiel de ceux qui émigrent au péril de leur vie. Ce sera la grande question de ce Sommet : comment offrir un avenir stable, viable et prospère à la jeunesse africaine ? Si les bonnes décisions sont prises, elle sera un atout et une chance considérables pour le continent africain, et non un “défi civilisationnel” comme certains le prétendent.
La France est très présente économiquement en Côte d’Ivoire, tant le pays représente un potentiel économique important. La Côte d’Ivoire, c’est la deuxième économie d’Afrique subsaharienne, après l’Afrique du Sud. Le pays a affiché une croissance moyenne de 9 % de 2012 à 2016, et vise 8,5 % pour 2017 ! Évidemment, cela intéresse nos entreprises. Nous avons un rôle à jouer, débarrassé du schéma colonial, dans le développement économique de la Côte d’Ivoire, et plus largement de l’Afrique.
La Côte d’Ivoire cristallise à bien des égards le concentré des défis actuels du continent : une croissance dynamique mais pas encore inclusive, le chômage des jeunes doublé d’une explosion démographique qui les pousse sur le chemin de la migration et le tout dans un contexte marqué par des risques d’instabilité politique. Comment l’UE pourrait-elle aider le continent à prendre en charge ces défis ?
L’Union européenne aidera d’autant mieux le continent africain lorsqu’elle comprendra que le temps des rapports inégaux Nord-Sud est dépassé. Traitons enfin les pays africains pour ce qu’ils sont : des partenaires avec un formidable potentiel !À nous de soutenir les Africains dans cette voie, en prenant les mesures qui s’imposent. Je pense par exemple à une lutte accrue contre la corruption, à des politiques plus efficaces contre l’évasion fiscale. Chaque année, entre 40 et 80 milliards de dollars de taxes échappent au continent, ce qui représente une bien plus grande manne financière que l’aide au développement.
L’Union européenne peut également aider l’Afrique à mettre en place des coopérations régionales efficaces, notamment dans le domaine économique. Nous savons de quoi nous parlons, c’est toute l’histoire de l’Union européenne dont il est question ! L’économie africaine est aujourd’hui encore trop morcelée entre plusieurs organisations régionales construites sur des bases héritées de la colonisation et qui correspondent de moins en moins aux réalités vécues au quotidien par les Africains.
En votre qualité de rapporteur du groupe politique vous aviez pris part aux discussions sur le rapport Stratégie UE-Afrique : un coup d’accélérateur au développement. Quelles sont les principales recommandations que le Parlement a soumis pour justement renforcer ce partenariat ?
Ce rapport sera présenté au vote à Strasbourg, lors de la session plénière de novembre. J’ai défendu dans ce rapport l’importance du partenariat UE-Afrique dans le domaine de la migration, de la lutte contre le terrorisme et de la criminalité organisée. Le climat d’insécurité qui existe dans certaines parties du continent africain nuit à la croissance, à l’emploi, à l’investissement et donc au développement.
L’Union européenne et l’Afrique doivent intensifier leur coopération et le dialogue politique, c’est indéniable, mais comment ? Je propose par exemple que l’Union européenne s’appuie sur des pays moteurs pour entraîner le développement du continent. Je pense notamment au Maroc et à la Côte d’Ivoire. Nous devons également nous appuyer sur la diaspora africaine en Europe, incroyable source de savoir et des relais pour comprendre les problématiques africaines.
Comment l’UE entend-elle accompagner le continent alors que sur bien des questions comme la problématique de la gestion migratoire, les priorités ne semblent pas les mêmes selon les pays membres et certains États ont même mis en œuvre des stratégies unilatérales en signant des accords avec certains de leurs pairs africains ?
C’est pour cela que le Sommet UE-Afrique est si crucial ! Nous devons tous nous assoir à la même table pour discuter des enjeux de notre coopération. Mais si l’Afrique doit être considérée comme un partenaire uni et indivisible, il est aussi compréhensif que des solutions individuelles soient proposées, alors que tous les pays ne font pas face aux mêmes problématiques.
C’est pour cela qu’en novembre 2015, lors du sommet de la Valette sur la migration, l’Union européenne a promis une aide financière à l’Afrique, avec un fonds d’1,8 milliard d’euros, pour endiguer les flux migratoires et créer des programmes différents en fonction des problématiques régionales ou locales. Le fonds fiduciaire profite à toute une série de pays d’Afrique situés sur les principales routes migratoires africaines à destination de l’Europe. Les pays voisins des pays éligibles peuvent également bénéficier, au cas par cas, de projets financés par le fonds fiduciaire.
Nous avons besoin de tous les échelons de coopération, cela inclut aussi bien les accords bilatéraux entre États que les accords régionaux et multilatéraux, ainsi que l’échelon local. Mais l’important est d’avoir une stratégie globale, d’où la nécessité de ce Sommet.
On l’a vu avec le G5 Sahel et dans le cas d’autres conflits comme au Mali ou en Centrafrique, l’aide attendue par les pays africains de leurs partenaires n’est pas à la hauteur des ambitions. L’UE a-t-elle les moyens de ses ambitions africaines ?
L’Union européenne est le premier bailleur de fonds en Afrique. Elle sait souvent montrer l’exemple et bien souvent prendre ses responsabilités. Après, nous devons avoir des leaders politiques qui prennent des décisions courageuses, même à contre-courant des opinions publiques.
Il ne s’agit pas tant de dépenser des millions mais d’accompagner stratégiquement l’Afrique, sur le long terme, pour que les fonds alloués soient utilisés dans l’intérêt des Africains. À titre d’exemple, en juin 2017, il a été annoncé qu’une aide européenne de 50 millions d’euros serait allouée aux pays du G5 Sahel pour soutenir la création d’une force conjointe destinée à lutter contre le terrorisme. Nous devons accompagner ce projet en leur apportant l’expertise de nos services de renseignement, de nos armées, de nos forces de sécurité, sur le même modèle de ce que fait la France auprès du Mali.
Et nous ne sommes pas les seuls à pouvoir apporter l’expertise nécessaire. Les services de renseignement marocain et algérien, par exemple, ont une expérience considérable dans le démantèlement des cellules terroristes qui déstabilisent la région et peuvent apporter au G5 Sahel un savoir-faire dans le domaine du renseignement des plus utiles. C’est aussi ça le co-développement et le partenariat Sud-Sud.
C’est le cas aussi dans le domaine économique où les entreprises européennes veulent faire face à la rude concurrence d’autres puissances comme la Chine mais en même temps, les pays européens se font également concurrence entre eux. Cela ne constitue-t-il pas un handicap ?
Là où vous voyez cela comme un handicap, voyons le au contraire comme la possibilité, pour les États africains, d’avoir une offre compétitive et au juste prix. Aujourd’hui, les investissements des entreprises européennes et de leurs filiales en Afrique s’élèvent au total à plus de 200 milliards d’euros par an, ce qui fait de l’Union européenne le premier partenaire de l’Afrique dans ce domaine. Les échanges commerciaux et les investissements entre l’Afrique et l’Union européenne peuvent certes encore être améliorés par une coopération plus étroite, une coordination politique et la conclusion des négociations de l’OMC. Mais nous sommes dans la bonne voie.
À ce titre, le Maroc constitue déjà un hub continental liant l’Afrique à l’Europe, il permet de favoriser l’investissement et le commerce entre nos deux continents.
Au Gabon, en RDC ou tout récemment au Togo, l’UE peine à se faire entendre sur les crises politiques. Quelle est la position du Parlement européen sur ces dossiers qui continuent à cristalliser l’actualité africaine sans tenir compte de leurs conséquences socio économiques ?
Au Parlement européen, nous votons régulièrement en plénière des résolutions d’urgence pour alerter sur les crises politiques, les violations des droits de l’Homme dans un pays. Ce fut le cas en septembre dernier sur la répression de l’opposition au Gabon, ainsi qu’en juin sur la République Démocratique du Congo.
Je regrette que le Parlement européen n’ait pas d’autorité en matière de politique étrangère, alors que nous sommes la seule institution européenne élue directement par les citoyens européens.
Il manque souvent une inflexion politique à la résolution de ces crises. Sans retomber dans nos travers passés, avec un interventionnisme mal venu, je souhaite que nous fassions preuve de plus de courage dans la réaffirmation de nos valeurs, dans l’intérêt des Africains et non de leurs dirigeants ou de nos entreprises !
Ce sommet arrive à la veille de la conclusion de négociations pour un nouvel accord UE-ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) et qui soulèvent bien des inquiétudes en Afrique. Les exigences de l’UE ne sont-elles pas plutôt favorables aux pays européens surtout si on tient compte de la réalité sur le terrain notamment la dynamique industrielle encore embryonnaire sur le continent ?
En octobre 2016, nous avons voté au Parlement européen un rapport sur l’avenir des relations ACP-UE suite à l’échéance des Accords de Cotonou en 2020. Ce que nous souhaitons, c’est une structure plus efficace et adaptée aux tendances de la mondialisation. Il ne peut pas être question de favoriser les pays européens au détriment de l’Afrique.
Le nouvel accord UE-ACP devra obligatoirement, pour être juste et efficace, prendre en compte deux choses: en premier lieu, les accords préexistants afin d’établir une continuité dans le partenariat. Ensuite, il devra également prendre en considération les organisations régionales, et notamment l’Union africaine afin d’approfondir le processus de régionalisation. Lors de mon déplacement à Abidjan, je vais rencontrer le Représentant Résident de la CEDEAO en Côte d’Ivoire ainsi que le Président de la Banque africaine de développement. L’Afrique est riche de plusieurs organisations régionales et continentales de qualité. Ce nouvel accord doit les aider à poursuivre leur travail ensemble, en coopération étroite avec l’Union européenne.
Enfin, le lien entre sécurité et développement doit être un élément essentiel de ce nouvel accord. Sans sécurité, pas de développement possible !
Ces derniers temps on assiste à une montée de l’afro-optimisme qui se matérialise entre autres par la critique de certains donneurs de leçons, en plus des critiques contre certains systèmes comme le Franc CFA. Quelle est votre opinion sur ce sujet et comment l’UE peut-elle renforcer son partenariat avec le continent sans pour autant donner l’impression de ne vouloir que sauvegarder ses propres intérêts sur cette question macroéconomique ?
Mais si les Africains sont optimistes pour l’avenir de leur continent, c’est une excellente nouvelle ! Et ils ont raison de l’être ! Pendant des années nous avons réduit l’Afrique à ses crises politiques, sanitaires ou économiques. Aujourd’hui, la montée de l’optimisme africain ouvre les yeux de l’Europe sur la nécessité d’un partenariat d’égal à égal, gagnant-gagnant, même si l’Afrique est gravement confrontée à la montée de la radicalisation et du terrorisme.
Sur le Franc CFA, des réformes doivent être mises en place. Mais je regrette que le débat autour de cette question soit devenu idéologique alors que de réels changements sont nécessaires. Tout d’abord, l’impression du Franc CFA doit quitter la France et cette monnaie changer de nom afin de clore ce débat idéologique qui nuit aussi bien à l’Afrique qu’à la France. Ensuite, il faudra réfléchir à des réformes en profondeur comme sans doute celle de la fin de la parité fixe avec l’Euro. Dans tous les cas, ces réformes devront se faire en douceur afin d’éviter toute perte de stabilité.
Dernière question, quelle est votre appréciation de la situation politique et socioéconomique de l’Afrique et des perspectives de développement alors que chaque jour des conflits naissent ou persistent ici et là ?
L’environnement politique en Afrique reste fragile comme le démontre notamment la situation dans le Sahel, la menace terroriste « Boko Haram », la situation de la Centrafrique et du Soudan du sud, les futures échéances électorales en Afrique de l’Ouest et les tensions au Maghreb. Or c’est bien de cette stabilité dont les pays africains ont besoin pour attirer les investissements, développer des infrastructures publiques au service de tous, et offrir un avenir sûr aux plus jeunes générations. C’est pour cela que nous devons construire un partenariat et une aide au développement qui s’attaque à la fois aux besoins socioéconomiques mais également aux besoins sécuritaires.
Pour autant, la situation est très hétéroclite en fonction des pays. De nombreux pays africains ont enregistré ces dernières années des performances économiques impressionnantes, à faire pâlir d’envie certains États membres européens. L’élan d’optimisme qui traverse l’Afrique ne vient pas de nulle part. Ce continent n’est plus uniquement le berceau de l’humanité, il est désormais son avenir.Je suis convaincue que le XXIème siècle sera celui de tous les possibles pour l’Afrique. C’est le message que je continuerai de porter comme Député européen.
La Tribune Afrique