Plongée dans le monde des entrepreneurs africains spécialistes des EdTech, ces innovations qui combinent éducation et technologies. Samir Abdelkrim, fondateur de StartupBRICS.com* et notre chasseur de start-up sur le terrain en Afrique, a profité d’une rencontre avec Thierry N’Doufou, le fondateur ivoirien de la première tablette éducative africaine Qelasy, pour revenir sur le sujet.
Dans les pays africains, les obstacles continuent de s’amonceler sur le long chemin qui mène vers une meilleure éducation. Voici le constat dressé par l’UNESCO dans un rapport rendu public en avril dernier sur l’état de l’éducation dans le monde. Selon l’organisation internationale, près de 30 millions d’enfants africains n’étaient toujours pas scolarisés en 2011. L’UNESCO enfonce le clou en déplorant que ce chiffre représente environ la moitié de l’ensemble des enfants scolairement exclus au niveau mondial (près de 58 millions au total).
La transformation numérique au secours de l’éducation
En Afrique, continent où 70% de la population a moins de 30 ans, l’accès à l’éducation serait donc en train de ralentir ? Dans son rapport, l’instance de l’ONU pointe en tout cas du doigt un sérieux coup de mou. En dépit d’efforts budgétaires réels, les pays africains parviennent difficilement à faire éclore des systèmes éducatifs de qualité. Une situation paradoxale car, depuis plusieurs années, des pays comme le Kenya, l’Ethiopie ou l’Ouganda ont significativement renforcé leurs politiques éducatives. Par exemple en abolissant les frais d’inscription ou en ouvrant la vanne des crédits publics. C’est notamment le cas du Ghana où l’instruction publique représente près du tiers du budget de l’Etat. Et pourtant selon l’UNESCO, parmi les vingt pays les moins bien notés en matière de performances éducatives, pas moins de seize sont…africains ! Mais pour de nombreux entrepreneurs du secteur dit « EdTech », cette injustice scolaire peut être combattue grâce à la transformation numérique.
Le pari de la tablette Qelasy
En Afrique francophone et anglophone, un nombre encore modeste mais grandissant de start-up commence à donner de la voix pour proposer ses solutions, principalement par la numérisation des contenus éducatifs. C’est déjà le cas à Abidjan avec la startup Qelasy, une tablette éducative conçue en Côte d’Ivoire par l’entrepreneur ivoirien Thierry N’Doufou. «En Afrique de l’Ouest, aller à l’école est théoriquement un droit, et une obligation inscrite dans la législation de pratiquement tous les pays, explique-t-il. Mais en Côte d’Ivoire, nous n’avons pas suffisamment d’écoles et surtout pas assez d’enseignants pour bien former tous les enfants. Or le numérique peut accélérer l’effort de rattrapage et permettre de réaliser des gains d’échelle, en dématérialisant les contenus scolaires.».
Qelasy peut donc pallier à ce déficit d’infrastructures, car avec une tablette, « les enfants peuvent apprendre partout ». La Qelasy permet en effet aux jeunes ivoiriens de télécharger des milliers d’ouvrages et d’accéder à près de 800 vidéos éducatives tournées en Côte d’Ivoire. 3.000 vidéos seront disponibles sur les tablettes Qelasy d’ici septembre 2015. Mais rallier l’univers éducatif à sa cause reste une mission délicate, la Qelasy étant parfois assimilée à un outil purement ludique. « Cela peut créer des appréhensions, beaucoup de parents se méfient du digital. Et les acteurs institutionnels s’imaginent parfois que les enfants vont transformer nos tablettes en console de jeux vidéo, ce qui est impossible. Notre travail de terrain consiste donc à convaincre et expliquer les opportunités offertes par les nouvelles technologies éducatives» témoigne Thierry N’Doufou. Un patient travail qui, depuis quelques mois, porte ses fruits : la Qelasy équipe aujourd’hui près de 200 écoles en Côte d’Ivoire mais aussi au Niger, au Sénégal et au Maroc.
« One Laptop Per Child » au Rwanda
Pour parvenir à faire rentrer le digital dans les mœurs éducatives, Thierry met fréquemment en avant l’exemple de pays africains anglophones. Il cite souvent le Rwanda, un des pays d’Afrique qui investit le plus dans la numérisation de son système éducatif. «Dans les pays anglophones, familiariser les écoliers aux TIC n’est pas une option mais une obligation, le sujet est pris très au sérieux par le gouvernement. Visitez les écoles primaires de Kigali, vous serez frappé par le nombre important d’écoliers apprenant ou faisant leurs devoirs sur des tablettes et des ordinateurs portables. Ils bénéficient en plus d’un suivi personnalisé. » Avec l’initiative « One Laptop Per Child », le gouvernement de Kigali prévoit de livrer 500.000 ordinateurs portables pour équiper l’intégralité des écoles rwandaises d’ici 2020. Un pari décisif sur l’avenir.
eLimu mise sur la gamification au Kenya
Plus à l’est, au Kenya, la startup eLimu a quant à elle inauguré une nouvelle application qui mise sur la « Gamification » pour permettre aux enfants kenyans de moins de 10 ans d’apprendre leurs leçons sur une tablette, avec comme support pédagogique des animations vidéos, de la musique, des quiz interactifs et même des jeux instructifs. Lorsque vient le moment de corriger les devoirs, l’application permet d’organiser des sessions de Questions / Réponses en duplex avec les professeurs. Mais encore faut-il pour les enfants, comme pour les enseignants, avoir accès à l’internet, et à l’électricité.
Les MOOCs, nouvelles armes d’éducation massive ?
Le monde universitaire est également pris dans cette nouvelle vague d’innovations portées par le secteur des « EdTech ». Nouveau symbole incontournable de la révolution numérique, les MOOCs (Cours en Ligne Ouverts en Masse) sont déjà en train de séduire une nouvelle génération des jeunes adultes africains. Depuis Niamey, Ziguinchor ou Bamako, pour les étudiants il devient possible en quelques clics de suivre les cours les plus prestigieux d’entrepreneuriat ou de « Design Thinking » délivrés à Stanford, l’ESSEC ou encore à Harvard. Un accès sans barrières aucunes aux enseignements les plus élitistes.
Certes, mais est-ce suffisant pour compenser les faiblesses financières et logistiques des universités africaines, souvent décrites comme étant à bout de souffle ? « Les MOOCs remplissent un rôle qui est de permettre à des milliers d’étudiants africains de se former à distance. Ils leur évitent aussi d’aller s’entasser dans des amphithéâtres bondés ou sous-équipés. Donc là aussi, la dématérialisation qu’offre les MOOCs permet au moins d’atténuer le manque bien réel d’infrastructures » conclut Thierry N’Doufou.
MAXWELL / Source : lentreprenariat