Après avoir affronté l’ivoirité, ses anciens alliés et une longue guerre civile, Alassane Ouattara a dû se résigner, malgré son accession à la majorité suprême tant désirée. Dénué de tout instinct politique, le technocrate a fini par saisir l’insoutenable lourdeur d’une fonction pour laquelle il fallait peut-être plus que des compétences techniques.
Le 22 novembre, alors que le monde entier s’indigne devant l’horreur, qui n’a pourtant rien d’inédit, de la traite des Noirs en Libye, le président ivoirien Alassane Ouattara fait rapatrier 155 de ses compatriotes. On se demande ce que suscite cette affaire chez le chef d’Etat, qui a lui-même connu l’exil. Se reproche-t-il de n’avoir pas assez fait pour assurer une croissance inclusive qui aurait incité ces migrants à rester au pays ? Face à la menace toujours présente d’une nouvelle guerre civile, à trois ans de la fin de son dernier mandat, craint-il de partir un peu comme il est arrivé, sous un tonnerre de feu ?
L’homme qui tombe à pic
Alassane Ouattara aurait pu se contenter d’un destin de technocrate, qui lui aurait surement épargné bien des nuits blanches. Né en 1942 à Dimbokro, il fait ses études primaires en Côte d’Ivoire, avant de partir en Haute-Volta, actuel Burkina-Faso. Il y passe son baccalauréat et décroche une bourse d’études pour les Etats-Unis. En 1972, il décroche un doctorat en sciences économiques à l’université de Pennsylvanie à Philadelphie, avant d’entrer au Fonds monétaire international (FMI), en tant qu’économiste. Poursuivant sa trajectoire de jeune premier, il rejoint, cinq années plus tard, la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) comme chargé de mission. Il devient par la suite conseiller du gouverneur, directeur des études, puis vice-gouverneur de la banque.
Malgré de nombreuses mesures d’austérité qui provoquent de vives réactions, Alassane Ouattara réussit à remettre l’économie ivoirienne sur le bon chemin, à tel point que Félix Houphouet-Boigny décide d’en faire son premier ministre.
Alassane Ouattara ne le sait pas encore, mais ce dernier poste l’empêchera pendant longtemps d’accéder à la magistrature suprême ivoirienne. En effet, le poste de vice-gouverneur de la BCEAO est réservé au Burkina-Faso. Malgré tout, en octobre 1988, le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny le choisit pour prendre la tête de la BCEAO, un poste réservé aux Ivoiriens. Deux ans plus tard, dans une Côte d’Ivoire en pleine crise économique, le président confie à l’ancien du FMI la direction d’un « Comité interministériel chargé de l’élaboration et de la mise en application du programme de stabilisation et de relance ». Malgré de nombreuses mesures d’austérité qui provoquent de vives réactions, Alassane Ouattara réussit à remettre l’économie ivoirienne sur le bon chemin, à tel point que Félix Houphouet-Boigny décide d’en faire son premier ministre.
Félix Houphouet-Boigny et Alassane Ouattara.
Indésirable et présidentiable
Les pontes de la politique ivoirienne de l’époque voient d’un mauvais œil l’arrivée de ce technocrate à qui le président semble accorder toute sa confiance. Malheureusement, la trajectoire ascensionnelle d’Alassane Ouattara prendra, presque littéralement, du plomb dans l’aile après la mort du président. En effet, Félix Houphouet-Boigny décède le 7 décembre 1993, donnant le top d’une vicieuse course à sa succession. Henry Konan Bédié, président de l’Assemblée nationale assure l’intérim du président décédé. En conflit ouvert avec Alassane Ouattara, seule alternative de poids à sa personne pour les présidentielles de 1995, il donnera sa première raclée politique à celui qui est devenu en 1994, le premier africain directeur général adjoint du FMI.
En décembre 1994 justement, le président par intérim fait voter un code électoral stipulant que tout candidat à la magistrature suprême doit « être Ivoirien de naissance, né de père et de mère eux-mêmes Ivoiriens, doit n’avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne, et doit avoir résidé de manière continue en Côte d’Ivoire pendant cinq ans. » Malgré une vague de protestations, le concept « d’ivoirité » est né et sa première victime n’est autre qu’Alassane Ouattara, qui renonce à se présenter aux élections. « Je suis Ivoirien et ce, depuis ma naissance à Dimbokro en 1942. De plus, mon père est né à Dimbokro vers 1888 et ma mère, originaire de Glélé ban (Odiénné), est née à Dabou en 1920. Ils sont donc Ivoiriens de naissance », protestera plus tard l’intéressé. Pourtant, il aurait étudié aux Etats-Unis avec un passeport voltaïque. « J’ai exercé les fonctions de vice-gouverneur de la BCEAO pour la Haute-Volta pendant deux ans. […] je l’ai fait à la suite d’un accord entre le président Houphouët et les autorités voltaïques », proteste-t-il. Ce n’est que partie remise.
Malgré une vague de protestations, le concept « d’ivoirité » est né et sa première victime n’est autre qu’Alassane Ouattara.
En juillet 1999, Alassane Ouattara rentre en Côte d’Ivoire. Elu à la tête du Rassemblement des Républicains (RDR), il annonce officiellement sa candidature aux présidentielles présidentielle d’octobre 2000. C’était sans compter sur la motivation de ses détracteurs. Le 22 septembre 1999, une information judiciaire pour « faux commis dans des documents administratifs, usage de faux et complicité » est ouverte contre lui. Le 27 octobre, la décision du juge lui ayant fourni un certificat de nationalité est annulée. Pour ne rien arranger, le 29 novembre, un mandat d’arrêt est lancé contre le président du RDR qui ne peut plus revenir dans son pays. Finalement, le 24 décembre, un coup d’Etat porte le général Robert Gueï à la tête du pays. Alassane Ouattara doit encore attendre son tour. Heureusement, le nouveau président autorise l’exilé à rentrer chez lui. La Côte d’Ivoire entre dans une période de transition politique. En juillet 2000, une nouvelle constitution est soumise à référendum. Un de ses articles précise que tout candidat à la magistrature suprême doit être de père et de mère ivoirien et ne doit s’être jamais prévalu d’aucune autre nationalité. Le « Oui » sort massivement gagnant avec 86% des suffrages. Alassane Ouattara dépose quand même sa candidature pour les élections d’octobre 2000. Elle est évidemment rejetée. Celle d’Henri Konan Bédié, qui a passé sa visite médicale en France, l’est également. En octobre, Laurent Gbagbo bat sans grandes difficultés général Gueï. Alassane Ouattara, pour qui le nouveau président est illégitime, devient d’office le nouveau visage de l’opposition.
Finalement, après un forum de réconciliation nationale organisé par Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara, reçoit, le 28 juin 2002, un certificat de nationalité. Le 5 août suivant, le RDR entre au gouvernement.
Quelques mois plus tard, alors qu’il souhaite entrer au parlement, la Cour suprême rejette la candidature du président du RDR, remettant toujours en cause son ivoirité. Finalement, après un forum de réconciliation nationale organisé par Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara, reçoit, le 28 juin 2002, un certificat de nationalité. Le 5 août suivant, le RDR entre au gouvernement.
Soulèvements, retournement de vestes et alliances contre nature
En septembre 2002, après une tentative de coup d’Etat, une rébellion armée débute en Côte d’Ivoire. Elle est menée par des militaires majoritairement originaire du nord du pays. Le général Robert Gueï est tué, la résidence d’Alassane Ouattara incendiée. Traqué, il se réfugie à l’ambassade de France, avant de rejoindre l’Hexagone. Le président Gbagbo l’accuse alors d’être l’instigateur de la rébellion. La présidence de Côte d’Ivoire semble désormais bien loin du président du RDR. Et pourtant, le 6 avril 2005, une rencontre entre lui, Laurent Gbagbo, Henri Konan Bédié et Guillaume Soro, secrétaire général du MPCI, est organisée. Les quatre hommes signent un accord de paix et l’article controversé sur l’ivoirité est amendé. Alassane Ouattara peut enfin concourir pour la magistrature suprême ivoirienne. Le 18 mai 2005, il fait même table rase du passé en s’alliant avec Henri Konan Bédié, face à Laurent Gbagbo, pour l’élection présidentielle du 30 octobre. Mais il faudra encore attendre, l’élection est repoussée à 2010 pour s’assurer de sa préparation. Qu’à cela ne tienne. Que sont quatre années et des poussières pour un homme qui n’espérait plus.
Président…et après ?
Au premier tour des élections, Alassane Ouattara arrive 2e avec 32,07 % des voix derrière Laurent Gbagbo, qui obtient 38,04 % des suffrages. Henri Konan Bédié, arrivé troisième avec 25,24 % des voix, affiche publiquement son soutien à Allassane Ouattara.
Après le second tour, la tension monte. Les deux camps s’accusent mutuellement d’avoir empêché le vote de leurs partisans dans certaines régions. Le 2 décembre, la Commission électorale indépendante, incompétente pour prononcer les résultats définitifs, annonce la victoire d’Alassane Ouattara avec 54,10 % des voix. Le Conseil constitutionnel, invalide ces résultats et déclare, le lendemain, le président sortant vainqueur avec 51,45 % des suffrages. Pendant le processus, les résultats de sept départements du Nord (fief d’Alassane Ouattara) sont invalidés à causes de prétendues fraudes. Dans le même temps, la quasi-totalité de la communauté internationale prend parti pour l’ancien directeur général du FMI.
Après une prestation de serment des deux intéressés, une crise électorale qui dure plusieurs mois, une bataille armée et des exactions plus tard, Alassane Ouattara est enfin président de la Côte d’Ivoire. Il est même réélu en 2015. Mais le technocrate, malgré des résultats économiques plutôt flatteurs, découvre l’ampleur et le poids du costume de président ivoirien qu’au final, il ne remplit jamais totalement.
Problèmes de fond
Sur le plan politique, son autorité ne semble être maintenue que par des ex-chefs de guerre. Et encore, seul le nord du pays semble être sous contrôle.
Economiquement, Alassane Ouattara a des arguments béton. De 2011 à 2016, le PIB aux prix courants est passé de 25 milliards $ à 38 milliards, affichant une progression de plus de 50%. Le ratio dette extérieure/PIB qui mesure le poids du stock de la dette extérieure dans le PIB s’est, quant à lui amélioré, passant de 65% à 38%. La chute des cours du pétrole n’a pas réellement affecté le pays qui n’est pas dépendant de ce secteur.
Economiquement, Alassane Ouattara a des arguments béton.
Coté agriculture, dès novembre 2011, Alassane Ouattara a débuté une réforme du système de vente du cacao. Son gouvernement crée le Conseil du Café-Cacao et lance un Programme National d’Investissement Agricole (PNIA) pour la période 2012-2016. Les résultats ne se font pas attendre. Le taux de croissance moyen de l’agriculture ivoirienne augmente de 6% entre 2010 et 2014. En 2016, le pays devient premier producteur et exportateur mondial d’anacarde.
Néanmoins, la croissance du pays n’est pas inclusive et n’enrichit que les plus fortunés. De plus, politiquement la Côte d’Ivoire n’a rien perdu de son instabilité.
Néanmoins, la croissance du pays n’est pas inclusive et n’enrichit que les plus fortunés. De plus, politiquement la Côte d’Ivoire n’a rien perdu de son instabilité. En fait Alassane Ouattara donne l’impression de ne pas maitriser les problèmes de fond d’un pays où le politique a toujours primé sur l’économique. Peut-être, d’ici la fin de son dernier mandat, Alassane Ouattara réussira-t-il à saisir totalement les ressorts du pays profond et les engrenages de la machine politique ivoirienne. Il serait grand temps, le compte à rebours a déjà commencé.
Avec agenceecofin