Il est de plus en plus facile de faire des affaires en Afrique. C’est ce qui ressort de la dernière édition du rapport Doing Business de la Banque mondiale. Adoptant à tour de bras des réformes réglementaires, les pays africains parviennent à glaner des places dans ce classement de la Banque mondiale, même si sur le terrain, la réalité est encore toute autre.
Il n’est pas si loin le temps où le Doing Business provoquait à chacune de ses éditions une véritable levée de boucliers, avec des gouvernements qui criaient leur indignation contre «la méprise» des institutions internationales à l’égard de leurs pays. En 2013, le chef d’Etat sénégalais Macky Sall avait même fait sensation en s’insurgeant publiquement contre la place qu’avait occupée son pays, ravivant ainsi les incessantes critiques que soulèvent le fameux rapport lancé en 2003 par la SFI, la filiale de la Banque mondiale dédiée au secteur privé.
Désormais, c’est avec une particulière attention que les pays africains appréhendent chaque année la publication du rapport, censé évaluer le cadre réglementaire de l’environnement des affaires de par le monde. Si effectivement des remises en cause surgissent encore de manière sporadique pour dénoncer le classement, comme cela a été le cas en 2016 avec le gouvernement camerounais qui a pointé du doigt la non prise en compte de certaines mesures qu’il avait mises en œuvre, de manière générale, les économies africaines se soumettent de plus en plus au jugement du Doing Business qui leur sert de référence pour engager les réformes attendues afin de capter l’attention des investisseurs.
Le fait est qu’en dépit des limites du rapport, tant sur sa méthodologie que les critères pris en compte pour bien mesurer le climat des affaires, les pays africains ont appris à glaner des places dans le classement qui constitue l’aspect phare du rapport. A coups de réformes, les économies africaines sont parvenues à se hisser au rang des premiers de la classe au niveau mondial, comme le révèle la dernière livraison du Doing Business, publiée en octobre dernier et qui revient par la même occasion sur quinze années de réformes relatives au climat des affaires.
L’Afrique, championne des réformes
Selon l’édition 2018 du Doing Business, l’Afrique subsaharienne continue d’accélérer le rythme de ses réformes, avec 36 pays ayant mis en œuvre 83 réformes de l’environnement des affaires. Ainsi, pour la deuxième année consécutive, les économies d’Afrique subsaharienne ont détenu le record du nombre de réformes mises en œuvre en matière de facilitation des affaires pour les petites et moyennes entreprises (PME). En 15 ans, ce n’est pas moins de 798 réformes qui ont été enregistrées dans les 48 économies de la région couvertes par le Rapport. Avec des résultats satisfaisants et concrets pour certains pays, comme le montre par exemple le délai nécessaire pour la création d’une entreprise qui était de 61 jours en moyenne en 2003, contre 22 à 24 jours actuellement, une durée qui se rapproche de la moyenne mondiale qui est de 20 jours. Parallèlement, c’est en matière de simplification des procédures de création des entreprises qu’ont porté en priorités les changements intégrés dans les législations africaines, depuis la première édition du Doing Business, avec 163 réformes introduites dans ce domaine.
D’autres réformes ont porté sur différents aspects comme l’exécution des contrats où le Rwanda est parvenu par exemple à ramener la durée de résolution d’un litige commercial de 395 jours à 230, actuellement. Le règlement de l’insolvabilité a aussi connu des améliorations significatives, à l’image de la Zambie qui a porté le taux de recouvrement de 17 cents pour un dollar en 2003, à 48 cents pour un dollar, actuellement.
Dans l’ensemble, tous les pays se sont mis à la tendance et le trio de tête en matière de réformes, sur les cinq dernières années, est composé du Rwanda avec 52 réformes en 15 ans, du Kenya et de l’île Maurice.
En Afrique du Nord, c’est le Maroc qui se positionne en leader de la sous-région. «Les efforts de réforme de l’Afrique subsaharienne méritent largement d’être soulignés, quand on sait que la région est le théâtre de multiples crises et que de nombreux pays sont en proie aux conflits et aux violences», explique Rita Ramalho, directrice par intérim du Groupe des indicateurs mondiaux de la Banque mondiale. Pour la principale auteure de l’édition 2018 du rapport, il est important que «cette dynamique vertueuse en faveur de l’esprit d’entreprise se poursuive, car elle est essentielle pour relever le défi de la création d’emplois, notamment pour les millions de jeunes hommes et femmes que compte la région». Un souhait qui vaut son pesant d’or, car au-delà des réformes qui cristallisent les attentions, il reste beaucoup à faire sur le Continent pour que les changements se traduisent concrètement sur le business.
L’envers du décor
Le satisfecit de la Banque mondiale et des pays les mieux placés n’occultent en rien le long chemin que les économies africaines devraient entamer pour parfaire leurs environnements des affaires. C’est ce que le classement général montre de manière sommaire, alors que dans le détail, ces performances sont contrebalancées en fonction des critères pris en compte. Cette année par exemple, c’est le raccordement à l’électricité qui a été considéré, par les auteurs du rapport, comme l’un des grands points faibles de l’Afrique subsaharienne. En moyenne, il faut 115 jours pour accéder à l’électricité, contre une moyenne mondiale de 92 jours.
Les classements par indicateur montrent d’ailleurs et de façon explicite que même si certaines économies restent les plus performantes sur plusieurs indicateurs, aucune économie n’est la plus ou la moins performante dans tous les domaines. Autant dire que tous les pays ont de bonnes pratiques à partager. Dans l’espace OHADA (Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires), par exemple, et qui fait depuis 2011 l’objet d’une analyse à part, les disparités les plus remarquées sont relatives à trois indicateurs : la création d’entreprises, le règlement de l’insolvabilité et l’exécution des contrats.
La course aux palmarès
D’après le Doing Business, les entrepreneurs restent encore confrontés à diverses contraintes réglementaires qui varient en fonction du lieu où se situent leurs entreprises et leurs affaires. Il y a donc du travail à faire et en la matière, le Continent doit aller au-delà de l’adoption des réformes afin de glaner des points au classement ou se voir qualifié de «pays réformateur».
Pour des raisons de prestige, mais aussi d’image auprès des investisseurs (voir encadré), c’est en effet à une véritable course aux palmarès que les gouvernants se livrent aujourd’hui en Afrique. La plupart des pays africains ont mis en place des commissions avec des stratégies et des calendriers, avec le dessein d’améliorer la position du pays dans le fameux classement. C’est de cette manière que des pays comme le Niger, la Côte d’Ivoire ou le Sénégal ont gagné des points ces dernières années. Et les grandes économies s’y mettent aussi : au cours de cette année, le Nigéria a adopté un plan constitué d’une soixantaine de mesures destinées à faciliter les affaires pour les investisseurs. Au Maroc, le classement est attendu chaque année avec un intérêt prononcé, car la politique économique gouvernementale est systématiquement réévaluée en fonction de la place occupée dans le classement. C’est ce qui explique qu’en plus de la mise en place d’une Commission nationale de l’environnement des affaires (CNEA), placée sous la tutelle du chef du gouvernement et composée de représentants de l’administration publique et du secteur privé, le Royaume s’est récemment doté d’une nouvelle stratégie visant à classer le pays dans le Top 50 mondial d’ici à 2020. Cette année, le Maroc est arrivé à la 69e position au niveau mondial, ce qui laisse imaginer la suite du parcours : plus l’on s’approche du haut du palmarès, plus les marges pour glaner des places s’amenuisent. C’est du reste ce qui explique «la performance» des pays africains en matière de facilitation des affaires que met en avant la Banque mondiale.
Le fait que la plupart des pays partent de rien, surtout lors de la publication du premier rapport, donne assez d’espace pour adopter, modifier ou renforcer la législation en matière d’amélioration du climat des affaires. Cela relève bien évidemment des contradictions qui apparaissent dans bien des rapports comme dans l’édition 2015 dans laquelle Haïti est arrivé en 94e position en termes d’accès des PME à l’électricité, alors que le Canada pointait au 150e rang. La même année, sur l’indicateur mesurant la «protection des investisseurs minoritaires», la Suisse occupait le 78e rang, pendant que la Sierra Leone est classée 62e dans la même catégorie. Ou que dire du classement de 2014 qui place le Burkina Faso et la RDC devant le Canada en matière de raccordement à l’électricité, tandis que Madagascar et le Nigéria se retrouvent loin devant la France en termes de protection des investisseurs !
L’édition 2018 n’échappe également pas à ces contradictions flagrantes dont certaines sont aussitôt mises en évidence par les faits. Le jour de la présentation en grande pompe du rapport, la capitale du Niger, un pays qui dispose du taux d’accès et d’indépendance énergétique parmi les plus bas au monde, a été plongé dans un black-out total durant plusieurs heures -comme c’est le cas assez souvent ces derniers mois- tout comme dans la majorité des capitales ouest-africaines. Pourtant, c’est en partie sous l’indicateur «accès et de raccordement à l’électricité» que le pays a pu enregistrer un bond de 6 places dans le classement général, alors que le Maroc, un des pays africains les mieux électrifiés, a reculé de plus d’une dizaine de places dans ce même indicateur, ce qui s’est rejailli sur le classement. La simple explication, c’est que le Niger vient de revoir sa politique énergétique et a adopté de nouvelles règles sur le marché de l’électricité, alors qu’au Maroc, la législation datait de plusieurs années et ne répond plus aux attentes des chefs d’entreprises.
Critiques et controverses
Les exemples en la matière sont légion d’autant que les réformes mises en œuvre par les différents gouvernants ne se traduisent pas nécessairement par des effets sur le terrain. C’est l’une des principales critiques formulées à l’égard de la méthodologie adoptée par la Banque mondiale, laquelle ne reflète que superficiellement la réalité des choses, puisqu’elle se base sur l’aspect réglementaire et la perception des professionnels à travers des questionnaires souvent remplis à la hâte.
Or, dans certains cas, ce sont les mêmes chefs d’entreprises qui répondent ou plutôt donnent leurs avis, l’échantillon pris comme base du sondage étant loin de refléter la perception générale du moment. «On félicite des pays pour avoir amélioré leurs réglementations en matière de création d’entreprises, ce qu’on explique par le nombre d’entreprises créées en une année dans un pays ou la durée pour le faire, mais on ne se demande pas combien d’entreprises arrivent à survivre jusqu’à cinq années», tempère amèrement Issoufou Adamou Idrissa, patron d’un cabinet d’affaires spécialisé entre autres dans la création et l’accompagnement des PME à Niamey. Des critiques qui reviennent régulièrement au-devant de l’actualité. Depuis 2003, année de lancement de la première édition, des réformes ont pourtant été introduites dans la méthodologie et l’approche sans que cela n’occulte les critiques que soulève encore le Doing Business. «Doing Business a tous les ingrédients pour être à la fois important et controversé, ce qu’il n’a pas manqué d’être», avait reconnu il y a quelques années et au plus fort de la contestation du rapport, Kaushik Basu, l’ancien économiste en chef de la Banque mondiale, qui a avoué lui-même avoir critiqué le rapport lorsqu’il était conseiller économique du gouvernement indien.
Baromètre pour les investisseurs, bible pour les agences de notation
Aussi critiqués que soient sa méthodologie et son classement, le Doing business est l’un des rapports les plus prestigieux du monde économique. Pour les investisseurs, il constitue un baromètre auquel ils se réfèrent en matière d’affaires, alors que pour les agences de notation, c’est une véritable bible. Les indicateurs et autres détails qu’ils agrègent sont repris dans bien d’autres rapports économiques, mais aussi de bailleurs de fonds et des notes souveraines. Bref, un puissant argument de séduction auprès des investisseurs pour les pays les mieux placés.
C’est ce qui explique d’ailleurs l’ampleur qu’il prend dans la sphère économique mondiale et la levée de boucliers qu’il provoque souvent auprès de certains gouvernements. En 2013, la Chine ou l’Inde avaient demandé le retrait de certains aspects relatifs à leur économie en raison da la mauvaise réputation qu’ils donnaient de leurs pays. Plus loin, c’est le Congrès américain qui avait fait pression à travers une motion afin que certains critères ne soient plus pris en compte dans le rapport. Le vent de contestation a certes obligé la Banque mondiale a adopté quelques réformes -à partir notamment du rapport élaboré en 2013- via un comité présidé par l’ancien ministre sud-africain des Finances Trévor Manue. Sauf que cela n’a pas apporté grand-chose dans l’approche.
Avec latribuneafrique