Le développeur Oscar Ekponimo a mis au point Chowberry, qui permet aux moins aisés de pister les promotions tout en luttant contre le gaspillage alimentaire.
Son QG ne pourrait être plus exigu : 6 m2 tout au plus, nichés au premier étage d’une tour en périphérie de la capitale nigériane. Sur le même palier, des dizaines d’autres jeunes pousses jouent des coudes, espèrent bientôt se frayer un chemin sur la scène internationale. A Abuja comme dans le reste du monde, dans le milieu de la « tech », on commence petit.
C’est ici que le Nigérian Oscar Ekponimo a pris ses quartiers afin de s’adonner à son ambition de toujours : lutter contre la faim grâce à la technologie. A tout juste 31 ans, son rêve est devenu un job à plein temps. Avec Chowberry, l’application conçue en 2013 pour laquelle il a reçu le prix Rolex à l’esprit d’entreprise en 2016, le jeune développeur de logiciels s’attaque simultanément à deux problèmes de taille : la faim et le gaspillage alimentaire.
Années de disette
« Quand je faisais mes recherches pour développer le prototype de Chowberry, j’ai compris que beaucoup de commerçants ne savent absolument pas gérer leurs stocks. Ils ne savent pas ce qu’ils ont dans leurs rayons et ne font pas attention aux dates de péremption », explique l’ingénieur en informatique originaire de Calabar. « 13 millions de Nigérians souffrent de la faim, ajoute-t-il, et toutes ces denrées alimentaires perdues chaque semaine, c’est absurde. »
Oscar Ekponimo, benjamin d’une fratrie de cinq enfants, a lui même expérimenté cette douloureuse expérience de la faim, lorsque son père, affaibli des suites d’un AVC, ne pouvait plus assurer son travail dans la construction. Ces années de disette lui ont fait perdre son statut de premier de la classe mais ont forgé sa détermination : « Cette expérience m’a fait réfléchir sur ce que certaines personnes endurent. Je savais que ça allait être un sujet sur lequel j’allais travailler. »
Conscient que de nombreuses organisations poursuivent le même objectif que lui sans obtenir de résultats concluants, Oscar Ekponimo consacre ses années d’études en informatique à mettre au point une solution connectée et adaptée au terrain. Il teste différentes voies, identifie les contraintes et en tire la conclusion : « Ça ne fonctionne qu’à une échelle très locale. »
« Au Nigeria, je suis un outsider »
Oscar Ekponimo vise plus grand, plus connecté, plus moderne. « Mon plan était de construire un système où n’importe qui, de n’importe où puisse avoir accès à de la nourriture abordable. » C’est désormais chose faite. Grâce à son application, lorsqu’un produit arrive à trois mois de sa date limite de consommation, les commerçants partenaires en sont informés. Le produit en question est alors soldé et apparaît en ligne. Le rabais augmente automatiquement au fur et à mesure que la date de péremption approche, jusqu’à atteindre 70 % de réduction. Particuliers ou associations peuvent alors se procurer ces produits à moindre coût via l’application.
Chowberry est payant pour les magasins qui l’utilisent mais gratuit pour les particuliers à la recherche de produits soldés. Pour le moment, une centaine d’individus profitent chaque mois des réductions générées par l’application. Avec une vingtaine de supermarchés qui participent à Abuja et à Lagos, le modèle commence tout juste à être profitable. Oscar Ekponimo emploie cinq personnes à temps plein.
Son plus grand défi, Oscar Ekponimo le voit pour le moment dans l’absence totale de soutien gouvernemental. « La reconnaissance internationale est là. Je suis encore en train de gérer les fonds de mon prix Rolex. Je rentre tout juste d’Allemagne où j’étais invité à parler à l’Afro-Tech Festival de Dortmund. Mais j’aimerais aussi pouvoir compter sur un soutien de mon pays. »
Conscient d’évoluer dans une société de népotisme, l’entrepreneur aux origines modestes sait qu’il devra redoubler d’efforts pour se frayer un chemin en son propre pays. « Au Nigeria, je suis un outsider. J’ai dû partir de zéro, admet-t-il. Avec un tel “statut”, c’est très difficile pour le gouvernement de te soutenir. Du coup, les choses avancent très lentement. »
Les grandes enseignes encore frileuses
Désireux de participer à la construction d’un commerce responsable à travers l’Afrique, le fondateur de Chowberry entend exporter son application dans l’ensemble du continent. « C’est la beauté de la technologie, affirme le jeune ingénieur. On me raille parfois, on me demande si les plus démunis ont des smartphones. C’est mal connaître le Nigeria. L’Afrique est connectée, toutes classes confondues. Le vendeur de soya [brochettes de bœuf], le cireur de chaussures… Ils sont tous en ligne. »
Pour élargir son champ d’action, Oscar Ekponimo aimerait compter parmi ses clients le géant sud-africain Shoprite. La colossale chaîne de magasins gère plus de deux mille supermarchés et hypermarchés répartis dans quinze pays à travers le continent africain, dont le Nigeria. Mais les obstacles sont nombreux. « Les grandes enseignes sont encore un peu frileuses. Elles craignent pour leur image, car utiliser mon application revient à reconnaître officiellement que l’on vend des produits sur le point d’expirer », analyse Oscar Ekponimo.
Mais il en faut plus pour le décourager : « Convaincre les magasins, ce n’est pas en soi le plus difficile. La majeure partie du travail consiste ensuite à repasser derrière eux pour vérifier qu’ils sont assidus avec l’enregistrement des produits dans le système. »
Avec lemonde