Des entrepreneurs québécois méconnus chez nous font des affaires d’or en Chine. «Le Journal de Montréal» s’est entretenu avec ces passionnés qui réussissent à aller chercher leur part du gâteau des 13,8 milliards $ d’échanges commerciaux réalisés entre le Québec et la Chine en 2016, selon Export Québec.
«Il y a un vrai engouement pour la Chine», assure Jean-Christophe Sinclair, coordonnateur à la direction des marchés de l’Asie-Pacifique chez Export Québec, une branche du ministère de l’Économie, de la Science et de l’Innovation du Québec qui aide nos compagnies à exporter là-bas.
À preuve, deux fois plus de gens d’affaires ont cogné à leur porte cette année par rapport à l’an dernier parce qu’ils s’intéressaient au marché chinois. Un enthousiasme qui ne surprend pas Ari Van Assche, directeur du Département d’affaires internationales HEC Montréal, spécialiste de la Chine.
Compétition féroce
«Tout le monde veut être en Chine. Mais peu y arrivent. La compétition est énorme. Il faut travailler plus fort qu’à Montréal pour réussir», prévient-il. Plus de cent sociétés québécoises ont un bureau ou une coentreprise là-bas. L’empire du Milieu est le deuxième partenaire économique international du Québec après les États-Unis.
Pour M. Assche, les 12 heures de décalage horaire et les 20 heures d’avion ne facilitent pas les choses. «Soit vous y devez déménager, soit vous devez y aller souvent. Dans les deux cas, c’est extrêmement compliqué», prévient-il.
Oubliez la Silicon Valley
Pour Winston Chan, amoureux de la Chine et guide de la délégation canadienne 2016 pour le Sommet du G20 de l’Alliance des jeunes entrepreneurs, les Québécois ont tout intérêt à se tourner vers la Chine avant la Silicon Valley pour se trouver un investisseur.
«Au Québec, le capital de risque est institutionnel. C’est toujours les mêmes fonds : la Caisse de dépôt et placement du Québec, etc. C’est pour ça qu’il faut aller en Chine… il y a de l’argent là-bas», conclut celui qui a déjà organisé une mission d’entrepreneurs là-bas, comprenant Harold Dumur.Boire la Chine
Louis-Olivier Roy – Soon Spirit
•Âge: 30 ans
•Employés : 2 + 15 contractuels
•Chiffre d’affaires : Contrats signés pour près de 1 million $
«D’ici le Nouvel An chinois, je vais être dans les plus grands hôtels Marriott et Four Seasons dans plus de 15 villes chinoises. C’est un marché de plusieurs millions $», affirme de Beijing Louis-Olivier Roy, fondateur de Soon Spirit, un vin de glace fortifié qu’il a créé pour plaire aux Chinois.
La Chine n’a plus de secrets pour Louis-Olivier Roy qui y habite depuis dix ans déjà.
Il parle parfaitement le mandarin, au point où la télévision nationale lui a donné la parole récemment «Dès mon premier voyage, à l’âge de 19 ans, je voyais le boom! Je voyais que beaucoup de Chinois avaient de l’argent», poursuit-il.
Histoire de Québécois
Après avoir importé du vin du Vignoble de L’Orpailleur et du vin de glace, Louis-Olivier Roy croise par hasard à Montréal Nicolas Duvernois et Christopher Lecky, les fondateurs de Pur Vodka. M. Roy leur vend son idée de produire un vin de glace fortifié avec de la vodka.
Quatre ans plus tard, Soon Spirit se taille une place dans l’Hôtel St. Regis à Tianjin, au sud-est de Pékin grâce… à un autre Québécois. «Martin Leclerc était le directeur de l’hôtel. Il m’a ouvert des portes. Notre alcool est entré dans la plus grande chaîne hôtelière au monde», partage-t-il, sourire aux lèvres.
Louis-Olivier Roy mise sur la clientèle féminine. Sa boisson plaît aux femmes moins habituées de consommer un alcool fort, comme le whisky.
Pour le fondateur de Soon Spirit, l’ambiance de la classe moyenne est riche et survoltée. «Depuis les Jeux olympiques de 2008, ça ressemble aux Années folles.
Les gens ont de l’argent, et ne savent parfois pas quoi en faire», résume-t-il.
L’inventeur regrette par contre que son vin soit méconnu au Québec.
«J’ai des bâtons dans les roues pour entrer à la SAQ. Pourquoi ?», s’interroge-t-il, décochant une flèche bien sentie à la société d’État.Femme du monde
Caroline Bérubé – HJM Asia Law
•Âge : 41 ans
•Employés : 18
•Chiffre d’affaires : 2,5 millions $
«Je travaille 20 heures par jours. Je dors deux ou trois heures par nuit. Je suis en déplacement 140 jours par année. Je travaille fort. C’est peut-être moins glamour que ça n’y paraît. Des fois, j’aurais juste le goût… d’un pâté chinois !», confie Caroline Bérubé, à la tête du cabinet d’avocats d’affaires HJM Asia Law, présent à Canton et Shanghaï en Chine.
Après avoir travaillé pour de grands cabinets d’avocats, et fondé une entreprise avec son frère, Mme Bérubé bâtit sa propre boîte en 2007 pour aider les entreprises canadiennes ayant un chiffre d’affaires d’au moins 25 millions $ à venir s’installer en Chine. La Québécoise accompagne aussi les sociétés chinoises désireuses d’explorer de nouveaux marchés en Amérique, en Europe et en Afrique.
Rôles inversés
Caroline Bérubé dit qu’il y a 20 ans, les compagnies étrangères venaient en Chine pour réduire le coût de fabrication de leurs produits, mais qu’aujourd’hui les choses ont changé. Les Chinois savent que leur marché intérieur est lucratif, affirme celle qui est aussi présidente de l’International Bar Association représentant plus de 12 000 avocats.
Mme Bérubé voit souvent passer des Québécois qui pensent faire de l’argent vite sans effort.
Or, c’est une grosse erreur, selon elle, car la Chine demande du temps. «Les gens sous-estiment l’énergie que ça prend… ils sont tellement emballés par la croissance qu’ils oublient qu’il faut y consacrer du temps», déplore-t-elle.
L’avocate croise à l’occasion des entrepreneurs chinois qui s’entendent avec des investisseurs étrangers de vive voix, mais changent d’idée au moment de mettre sur papier le fruit des discussions.
«Ça énerve parfois nos clients», partage Caroline Bérubé qui dit par ailleurs aimer les Chinois parce qu’ils sont compétitifs, honnêtes et travaillants.Réalité virtuelle
Harold Dumur – OVA
•Âge : 32 ans
•Employés : 12
•Chiffre d’affaires : 2,2 millions $
«Le plus gros accélérateur chinois ViveX a investi dans notre entreprise. Il a acheté moins de 4 % de ma compagnie. Le lendemain, la valeur de ma société est passée de 4 millions $ à 6,4 millions $», partage Harold Dumur, propriétaire et fondateur d’OVA, une boîte en réalité virtuelle et augmentée.
L’entrepreneur raconte même au «Journal» qu’après une rencontre avec un autre grand fonds d’investissements chinois, dont il veut taire le nom, les investisseurs l’ont écouté patiemment, l’ont regardé droit dans les yeux et lui ont dit : «D’accord, donc vous voulez 200 millions $ ?»
Harold Dumur, sous le choc, leur a alors répondu… que deux millions suffisaient. «Reviens-nous quand tu voudras plus d’argent», lui ont-ils ensuite dit.
Apprivoiser le monstre
Le PDG d’OVA admet toutefois qu’il a dû apprivoiser la Chine. «La première fois, j’ai dit non pour la Chine. J’avais peur de l’espionnage. Mais, si on bouge assez vite, il ne faut pas avoir peur de la copie», précise celui qui y va fréquemment.
M. Dumur salive à l’idée de créer des partenariats avec une multinationale comme Alibaba. Les Chinois prévoient investir plus de 15 milliards $ en intelligence artificielle au cours des trois prochaines années seulement, une manne pour Ova.
«Pensez à Alibaba Brains, en intelligence artificielle. Grâce aux technologies, le géant chinois du web peut suivre en temps réel tout le monde à la trace. On en est rendu là, c’est fou», raconte Harold Dumur qui espère séduire ce monstre avec sa technologie de réalité virtuelle.
Même s’il a déjà décoché un important contrat d’un million $ avec la marine royale canadienne et que sa technologie séduit les Européens, c’est aujourd’hui la Chine plus que tout qui fait rêver le jeune entrepreneur.
5 obstacles à l’investissement en Chine
1. Certification longue et compliquée
2. Exigences de contenu local
3. Procédures douanières
4. Exigences d’étiquetage
5. La pollution de l’air et de l’environnement
(Source : Canada China Business Survey 2016 – Conseil d’affaires Canada-Chine)