À première vue, cela peut surprendre que la dernière édition du rapport phare d’ACET, lancée cette semaine lors des Assemblées annuelles de la Banque mondiale qui se tiennent en ce moment à Washington, soit consacrée au thème de l’agriculture. Mais c’est précisément notre objectif – il ne s’agit pas de parler exclusivement de l’agriculture, mais surtout de faire comprendre que c’est un secteur clé pour transformer l’économie du continent dans son ensemble.
Notre continent possède un énorme potentiel économique encore inexploré. Nous abritons plus de la moitié des terres cultivables non exploitées du monde. La diversité de nos climats permet d’élever et de cultiver une grande variété d’espèces animales et végétales. Mais nos politiques publiques ne sont plus adaptées et ne soutiennent pas suffisamment les exploitants, qui de fait, se contentent de pratiquer une agriculture de subsistance et n’osent pas se moderniser et intensifier leur production. Nous devons changer cela.
Dans ce rapport, nous centralisons de nombreuses données recueillies à travers l’Afrique afin d’aider les politiques publiques à élaborer des réformes stratégiques et des programmes innovants, susceptibles d’améliorer la productivité de nos agriculteurs et de booster les autres secteurs de l’économie.
Nous devons tout d’abord reconnaître qu’il y a un nouveau mélange d’acteurs qui interviennent aujourd’hui dans l’agriculture africaine ; et que ce mélange présente à la fois des risques et des avantages. La participation croissante du secteur privé et le développement technologique ont la capacité d’innover et d’augmenter la production. Bien plus que ne le peuvent les États, dont les ressources et les capacités sont limitées. Mais cela doit s’accompagner d’un cadre règlementaire plus efficace et de programmes pertinents pour favoriser la compétitivité, tout en soutenant les petits exploitants afin de garantir un meilleur partage des gains.
Ensuite, nous devons impérativement moderniser notre régime foncier qui est complétement dépassé. En Afrique, huit exploitants sur dix sont de petits agriculteurs, mais très peu d’entre eux possèdent un titre de propriété pour les terres qu’ils cultivent. Dans un tel contexte, comment voulez-vous qu’ils aient envie d’investir pour améliorer leur système d’irrigation ou leur rendement ? Et même s’ils le voulaient, les banques refuseraient de leur octroyer un prêt sans avoir la garantie de pouvoir hypothéquer leur terre en cas d’insolvabilité. Par ailleurs, les femmes, qui représentent la moitié de nos agriculteurs, rencontrent généralement encore plus de difficultés pour accéder à la propriété. Cela doit changer aussi bien sur le plan moral qu’économique.
Nous devons réviser le régime foncier pour s’assurer que nos terres soient partagées équitablement et ne soient pas captées par une minorité d’individus. Nous devons mettre en place des politiques macroéconomiques et sectorielles qui veillent à ce que les agriculteurs puissent avoir accès à de meilleurs intrants et à des financements et leur garantissent une assurance en cas de perte. Nous devrions également redoubler d’efforts pour former les agriculteurs aux techniques modernes et leur permettre ainsi de réduire les risques de mauvaises récoltes. Ceci pourrait aider les agriculteurs, dynamiser toute la chaîne de valeur de ce secteur et attirer de nouveaux investisseurs. Ceux qui élaborent les plans de développement économiques au niveau national devront en faire une priorité.
Les États doivent aussi aider les agriculteurs à innover. La politique de la « révolution verte » qui consiste à améliorer les semences, les engrais et la formation des agriculteurs, peut marcher en Afrique si elle est bien adaptée au contexte local. Elle s’avère déjà efficace chez les producteurs de riz au Ghana et en Ouganda où elle a permis d’augmenter la production. En revanche, elle est souvent onéreuse, difficile à obtenir ou mal adaptée à la réalité. Cette politique est un échec et doit être changée.
Enfin, nous devons lier davantage le secteur agricole aux autres domaines de l’économie. Les producteurs agricoles fournissent de la matière première aux usines de transformation, créant ainsi de la demande pour des intrants manufacturés, pour de la logistique et d’autres services. Par conséquent, ceci génère de l’emploi, augmente les revenus et fait prospérer l’économie en général. Mais au-delà des lacunes politiques et règlementaires, le mauvais état de l’infrastructure entrave ces liens. Il faut augmenter l’investissement public, particulièrement dans le domaine des infrastructures routières et l’accompagner de politiques industrielles bien définies qui donnent la priorité à l’agriculture et permettent de nouer des partenariats judicieux avec le secteur privé.
Heureusement, l’Afrique a les moyens de financer l’adoption de nouvelles technologies pour aider les agriculteurs à relever des défis, auparavant insurmontables, et transformer ainsi l’agriculture. D’une part, l’usage des drones peut permettre de lutter contre les insectes ravageurs. D’autre part, la téléphonie mobile peut connecter les agriculteurs entre eux et aux autres acteurs économiques. Les nouveaux outils de microélectronique permettent de créer des systèmes d’irrigation dans des environnements très variés. Voici quelques unes des nombreuses possibilités qui s’offrent aujourd’hui à nous. L’Afrique ne pourra les adopter sans mettre en place des politiques pertinentes et des programmes innovants, susceptibles d’attirer à la fois des investisseurs du secteur public et du secteur privé.
L’Afrique est un vaste continent, riche de sa diversité – Notre rapport entend dire clairement que les solutions légères n’aboutiront à rien. En revanche, les responsables politiques et les grands patrons doivent trouver des approches bien définies et adaptées à chaque contexte. Ceci permettra aux agriculteurs de nourrir nos populations et de faire prospérer nos économies. La possibilité est énorme. Mais nous devons nous mettre au travail dès maintenant si nous voulons que cette nouvelle vision de croissance en Afrique obtienne des résultats.