Philippe Martinez a repris les accusations d’Oxfam qui parlent d’un creusement des inégalités. Verdict : calculs très discutables.
La formule a fait grand bruit lundi : l’ONG britannique Oxfam a publié un rapport à la veille de l’ouverture du forum de Davos dans laquelle elle affirmait que la moitié la plus pauvre de l’humanité disposait d’un patrimoine inférieur à celui des huit hommes les plus riches du monde. De quoi tonner contre cette concentration « indécente » selon les mots d’Oxfam. Si bien que Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT et champion auto-proclamé de la lutte des classes, s’en est indigné jeudi matin au micro de RTL .
Le creusement des inégalités est devenu un sujet politique majeur depuis quelques mois. Mais faut-il pour autant reprendre sans distance les calculs d’Oxfam ? Le doute est permis. Ainsi, avec une méthodologie différente, on peut aboutir, en partant de la même enquête de référence du Crédit Suisse – Global Wealth Databook 2016 – utilisée par l’ONG, à des résultats nettement différents, où le patrimoine de cette moitié pauvre serait en fait entre trois et cinq fois plus importante que celui des 8 super milliardaires.
Démonstration : la fortune combinée de Bill Gates, Mark Zuckerberg, Warren Buffet et d’autres atteint 426 milliards de dollars, selon la compilation de Forbes qui sert de référence à Oxfam. Quant à celle de la moitié la plus pauvre de l’humanité, forte de 2,33 milliards d’adultes (l’étude considère que les enfants n’ont pas de patrimoine légalement), elle peut se calculer en multipliant simplement ses effectifs par le patrimoine moyen de chaque membre de ce groupe. Crédit Suisse l’estime à 984 dollars par personne. La moitié la plus pauvre de l’humanité dispose donc d’un patrimoine de 2.295 milliards. Environ 0,9% du total mondial, évalué à 255 700 milliards de dollars, l’équivalent de 90 piscines olympiques remplies d’or, et surtout encore cinq fois plus que celui des huit super-milliardaires.
Comment l’organisation Oxfam aboutit-elle donc à un constat si différent ? En fait l’ONG privilégie un mode de calcul alternatif, en additionnant le patrimoine total de la moitié de l’humanité la plus pauvre. Soit l’ensemble des gens possédant moins de 2.200 dollars, l’équivalent d’une petite voiture d’occasion. La somme du patrimoine de ces personnes s’élève à 1.509 milliards de dollars. Là encore, cela représente trois fois plus que les huit nababs, bien au dessus du niveau dénoncé par Philippe Martinez. Sauf que Oxfam ne s’en tient pas à ce chiffre brut. Contactée, l’ONG a expliqué avoir choisi de retirer 1.100 milliards de dollars à la richesse des moins riches. En effet, le patrimoine des 10 % les plus pauvres est négatif car cette population est endettée. Une opération discutable, puisqu’on peut être temporairement en situation nette négative mais potentiellement très riche, c’est le cas par exemple des étudiants d’Harvard. Oxfam réplique que les endettés se trouvent surtout en Inde, Afrique et Chine… tout en reconnaissant que la dette cumulée de ces « vrais pauvres » ne représente que 117 milliards.
La méthodologie utilisée prête donc à débat. Et il y a d’autres éléments de nature à susciter quelques doutes sur la fiabilité de l’enquête. Ainsi d’une année sur l’autre – l’enquête avait également été publiée début 2016 – le patrimoine de la moitié la plus pauvre de l’humanité est passée de 0,7 % du total mondial, à 0,2 % cette année. La justification ? Les pauvres en Chine et en Inde seraient plus pauvres qu’on ne le croyait jusqu’ici. L’opération paraît, là encore, très discutable puisqu’elle aboutit à réduire leur patrimoine de 70 % d’une année sur l’autre.
Avec lesechos.fr