L’autre ville du cinéma, longtemps restée discrète, se donne aujourd’hui des allures de star. Scénario bien ficelé pour s’affirmer sur la scène internationale : festival porteur, coûts de tournage avantageux et hôtellerie de luxe.
Depuis quelques mois, la chaîne américaine CBS diffuse Flashpoint, une série télévisée où l’on ne reconnaît ni l’Empire State Building, ni la 5e Avenue, mais la Tour CN et le Royal Ontario Museum. Une vraie révolution.
Jusqu’à très récemment, seuls les Torontois à l’oeil aiguisé étaient à même de reconnaître leurs quartiers dans les films où la ville jouait le rôle de Chicago, de New York, Boston ou Philadelphie. Car, depuis des décennies, grâce à son architecture variée et à des coûts de tournage faibles,Toronto a su se forger une réputation de “paradis des réalisateurs”. “Toronto est une ville propre, plutôt calme, avec peu de criminalité ; y bloquer une rue pour un tournage est bien moins compliqué et moins cher qu’à New York ou Washington”, explique Bruce Bell, spécialiste et historien de l’hôtel Fairmont Royal York, où ont été tournés des dizaines de films. Les choses changent et un nombre croissant de productions étrangères choisissent désormais de venir tourner à Toronto pour y situer l’action de leurs films ou de leurs séries TV. Le temps où il fallait gommer le moindre drapeau canadien, la plus petite boîte aux lettres, le minuscule indice qui aurait pu “trahir” le Canada ou Toronto est presque révolu. Atom Egoyan, réalisateur torontois, a été l’un des premiers à rompre avec cette honte discrète et à mettre en scène la ville au même titre que les stars Julianne Moore et Liam Neeson dans Chloe, son dernier film sorti au printemps 2010. Un dénouement sans doute logique pour une ville où sont nées l’industrie du cinéma et les premières chaînes de télévision canadiennes anglophones.
“Si les choses évoluent positivement, c’est aussi parce que Toronto prend son envol, que la ville met de plus en plus en avant son caractère cosmopolite et veut enfin faire parler d’elle”, poursuit Bruce Bell. Sortir de l’anonymat visuel, de la discrétion des “seconds rôles”, passe aussi par une prise de conscience : celle de l’impact économique généré par une industrie du cinéma de plus en plus imposante. “La ville et la province mettent actuellement tout en oeuvre pour stimuler ce secteur et faire venir des producteurs et des réalisateurs étrangers”, souligne Peter Finestone, du Toronto Film and Television Office. Grâce à un système complexe de subventions allouées par la ville et par la province de l’Ontario, tourner un film à Toronto en employant une équipe et des talents locaux peut représenter une économie tout à fait sensible. “On peut bénéficier jusqu’à environ 35 % de réduction sur les coûts engendrés, de la location d’un studio au salaire de l’ingénieur du son ou bien encore du maquilleur”, dit aussi Peter Finestone. Il faut dire que les retombées annuelles générées par l’industrie du film à Toronto s’élèvent à 1 milliard de dollars US par an, et que les autorités locales auraient tort de ne pas encourager un secteur employant 25 000 personnes à plein temps. D’ailleurs, les résultats parlent d’eux-mêmes. Entre 2008 et 2009, pourtant en plein coeur de la crise, les dépenses de production ont augmenté de 43 %. En 2008, ce sont aussi de vastes studios de cinéma – les studios Pinewood – qui ont ouvert à Toronto. Conçus pour pouvoir y tourner l’intégralité d’une grosse production de type Blockbuster, ils accueillent aussi le plus grand studio d’enregistrement sonore d’Amérique du Nord.
“Ce projet a été entièrement financé par des investisseurs privés… mais, après son ouverture, la ville de Toronto a choisi de faire partie des différents actionnaires”, reprend Peter Finestone. C’est cette constante stimulation qui a sans doute appelé les domaines connexes – effets spéciaux, animations, jeux vidéo etc… – à se développer également. Un exemple : le groupe français Ubisoft, jusqu’alors cantonné à Montréal, s’est implanté à Toronto en 2009.
Précisément, pour être attractif, quoi de mieux qu’un festival ? Si on l’oublie trop souvent depuis la France, le Toronto International Film Festival (TIFF) est pourtant l’un des plus grands événements du septième art avec Cannes, la Mostra de Venise ou la Berlinale. Un oubli peut-être dû au fait qu’il se déroule en septembre, en même temps que celui de Deauville. “C’est peutêtre aussi parce que les Canadiens n’aiment pas beaucoup faire parler d’eux”, explique Sandi White, avide cinéphile torontoise. Ce qui distingue ce festival du grand show cannois, et qui en fait un événement moins “people”, c’est qu’il s’agit d’un festival ouvert au grand public. Un atout pourtant, puisqu’en termes d’entrées la manifestation cinématographique canadienne arrive en première ligne avec 350 000 visiteurs par an.
Et c’est effectivement ce rapport direct au public qui attire de plus en plus l’attention sur ce rendez-vous. “Le TIFF est le meilleur endroit pour juger de la réception d’un film”, continue Sandi White. On connaît le décalage habituel entre la réaction de la critique et celle du public. Or, le TIFF permet une interaction directe entre public et cinéastes avec, en prime, quelques conséquences inattendues. Récemment, un film présenté au festival a été légèrement modifié avant sa sortie en salles pour cause de fin trop choquante pour les spectateurs.
Les grands noms du cinéma
Aujourd’hui, le festival de Toronto, jadis si peu “people”, attire de plus en plus de stars. Le lancement de nombreux grands films dont, récemment, Slumdog Millionaire ou Precious, y est sans doute pour quelque chose. À moins que le phénomène ne s’apparente tout simplement aux bouleversements de la ville elle-même qui se dote actuellement de 100 nouvelles tours et qui, dans les deux prochaines années, devrait voir cinq nouveaux hôtels 5 étoiles éclore, permettant ainsi d’accueillir les plus grands noms du cinéma. “Les stars aiment venir à Toronto, car la ville possède un vrai centre, comme New York ou Paris, mais aussi parce les Canadiens sont très respectueux et savent les laisser tranquilles”, conclut Peter Finestone.
En 2010, à l’occasion de sa 35ème édition, le TIFF s’est doté d’un édifice flambant neuf : le Bell Lightbox Building. Face à un prestige grandissant, il fallait donner un lieu emblématique à cet événement, ainsi qu’aux 70 autres festivals de films ayant lieu chaque année (français, portugais, grec, italien) et reflétant bien la diversité d’une ville cosmopolite où 51 % de la population est née à l’étranger. Un totem, en quelque sorte.
Avec : voyages-d-affaire