Les pays de l’Afrique subsaharienne sont des économies agricoles oùencore certains citoyens meurent paradoxalement de faim. Les émeutesde la faim de 2008 au Sénégal, Cameroun et Burkina Faso ont révéléque le système était considérablement déficitaire depuis au moins 30ans. Pourtant, comme le pensait aussi Jeffrey Sachs, Directeur d’EarthInstitute de l’université Columbia à New York, un modèle dedéveloppement généré par l’agriculture permettrait à l’Afrique de venir àbout de l’insécurité alimentaire et des périodes de grande famine. Qu’est-ce qui cloche? Quelles sont les différentes facettes de la crise agricole en Afrique subsaharienne ?
Crise de la main d’œuvre
Il s’agit d’abord d’une crise de la main d’œuvre. Selon le FAO, la production de riz en 2014 a baissé de 12% au Liberia, de 8% en Sierra Leone et d’environ 4% en Guinée. La majorité des producteursappartiennent à la classe des retraités dans des pays où la masse des jeunes de moins de 35 ansreprésente jusqu’à 75% de la population. Il convient de valoriser ce métier auprès des jeunes en créant unvéritable statut pour l’agriculteur. De nos jours, les activités agricoles restent en majorité des exploitationsfamiliales. Des incitations administratives leur permettraient de devenir des entreprises à part entièreoffrant des opportunités d’emploi.
Foncier rural
Sur le plan financier, l’absence d’une réforme du droit de propriété et du droit foncier fait des terrespaysannes des objets sans valeur et non susceptibles de servir d’hypothèques pour l’accès aux marchésfinanciers. Sans oublier le fléau de l’accaparement des terres excluant les communautés indigènes de leuractivité principale. C’est vrai qu’il est de la responsabilité du secteur financier d’innover ses produits pour les adapter aux spécificités de l’activité agricole, notamment en Afrique subsaharienne. En attendant, lesÉtats devraient bâtir des institutions fortes pour dissocier la survie des politiques publiques de l’avenirpolitique des individus comme au Malawi où la révolution verte était dépendante des méthodes duPrésident Mutharika mort au pouvoir en 2012.
Insuffisance des infrastructures
On a aussi une crise commerciale liée au manque d’infrastructures de base. Depuis le début des années1990, les stocks d’infrastructures que l’Afrique hérités de la colonisation ne suffisent plus à soutenir lacroissance économique. Par conséquent, le manque de moyens de transport ou des voies de communication conduit soit aux pénuries, soit aux flambées des prix, soit aux pertes en productivitéestimées à 40% ou encore aux manques à gagner de 5 à 20% dus à l’absence d’électricité. Lesinvestissements massifs dans les infrastructures demeurent une priorité.
Insuffisances technique et technologique
Aussi, la crise est surtout d’ordre technique et technologique. Les techniques traditionnelles d’agriculturesont encore prépondérantes. Par exemple, dans beaucoup de régions montagneuses, l’on cultive encoredans le sens de la montagne. La mécanisation de l’agriculture reste encore un luxe. Les semences les plus répandues sont non-sélectionnées. Au Cameroun, le peu de semences sélectionnées distribuéesdatent de 1987. Pis, l’essentiel des paysans restent analphabètes et n’ont pas accès de façon autonomeaux avancées techniques et technologiques. Il convient donc d’investir massivement dans la vulgarisationdes techniques et bonnes pratiques agricoles via des caravanes agricoles, la multiplication des écoles etlaboratoires agricoles, le soutien de la recherche locale, etc.
Changement climatique
Il y a aussi une crise environnementale liée à la difficulté à adapter les cultures aux changementsclimatiques. Par exemple, les cycles des saisons ont changé mais, les cultures restent les mêmes ainsi quele calendrier agricole. Les paysans se retrouvent de plus en plus soit avec des inondations ou dessécheresses, ce qui impacte négativement les récoltes en quantité et en qualité. Il convient de faire denouvelles études géotechniques et climatiques en vue de réorienter les activités agricoles en Afriquesubsaharienne.
Les politiques agricoles continuent de favoriser les cultures rentières qui n’entrent pas dans les habitudesalimentaires locales. Dans les faits, les agriculteurs africains dépendent des produits importés pour lasurvie, ce qui ne favorise pas l’atteinte des objectifs d’autosuffisance alimentaire. Pis, ces politiquesagricoles sont centralisées. Dans des contextes où les découpages des circonscriptions administratives ne correspondent pas aux régions naturelles du pays, l’on continue de décider au niveau central de ce qui nemarche pas de la même manière dans l’ensemble du pays. Il convient d’intensifier la décentralisation del’agriculture et d’adopter la démarche bottom-up.
Subventions internationales
Plus important, les décisions de l’OMC ne sont toujours pas favorables à l’Afrique subsaharienne. Lesproducteurs africains subissent la loi de la Realpolitik. Il s’agit de l’hypocrisie des puissances mondialesqui subventionnent leur agriculture au détriment de l’Afrique subsaharienne en violation des règles du libremarché. Par exemple, seul un an d’indocilité légitime a permis au Malawi avec l’augmentation des subventions en 2005 de récolter un excédent de céréales d’un demi-million de tonnes et de les exporter au Lesotho, Swaziland et Zimbabwe (400 000 tonnes de maïs). Cet exemple de « révolution verte » montreque les Africains doivent s’autonomiser, développer le marché sous-régional et travailler à la transformation de leurs produits agricoles sur place.
Mauvaise gouvernance
Enfin, la crise est aussi et surtout celle de la mauvaise gouvernance locale. Il existe beaucoup de corruption dans les programmes et projets agricoles au niveau local. Des fonctionnaires véreux détournentles fonds alloués à la production agricole comme cela a été le cas dans le programme maïs au Cameroun en 2009. L’agriculture africaine ne prospérera pas dans la corruption. Le professionnalisme de lamagistrature est nécessaire pour y faire face.
Comme le disait Jacques Diouf, Directeur Général de la FAO, une hausse de la facture des importationsalimentaires des pays les plus pauvres aurait « un impact dévastateur sur la sécurité de nombreux peupleset sur les droits de l’Homme ». Cela veut dire que les crises politiques en Afrique subsaharienne seraientaussi des crises alimentaires. Il convient comme le disait Calestous Juma, professeur kényan à l’universitéHarvard et auteur de The New Harvest: Agricultural Innovation in Africa, de replacer l’agriculture au centrede toutes les décisions économiques majeures. Les États africains ont pris cet engagement à l’UnionAfricaine mais, le lobby des importations semble plus fort. Il revient au lobby des agriculteurs africains de se renforcer.
avec libreafrique