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Le catalogue en ligne de La Redoute révèle parfois des surprises. Début 2012, des internautes découvrent qu’un homme nu s’est glissé sur une photo mettant en scène un tee-shirt pour enfant à la plage. L’image fait le tour de la Toile. La marque de vente en ligne présente ses excuses, retire la photo, et trouve une parade plutôt habile : quelques jours plus tard, en effet, un jeu concours invite les internautes à chercher des erreurs volontairement glissées dans les pages. Récompense promise : “Etre habillé de la tête aux pieds.” Résultat, l’audience du site grimpe, avec un good buzz à la clé.

Avec la démultiplication des médias, toute entreprise, même une PME ou une TPE, peut un jour se retrouver au cœur de turbulences, sous l’œil des caméras. Les crises qui surgissent sur le Web sont relayées sur les réseaux sociaux et nuisent gravement à leur image. Internet joue le plus souvent un rôle de caisse de résonance. Mais Facebook et Twitter sont aussi des outils pour sortir de la tempête. Quand Nutella devient l’emblème des détracteurs de l’huile de palme, Ferrero lance la contre-offensive en ligne : un fil Twitter et un site Web sont créés pour expliquer la composition de la célèbre pâte à tartiner. La marque parvient à mobiliser ses fans, qui créent une page Facebook intitulée “Touche pas à mon Nutella” et réussit à préserver son image bon enfant et familiale.

Chaque crise est unique, mais le public se souvient surtout de celles qui ont été mal gérées. Les autres, on les oublie. Quelques bons réflexes permettent de s’en sortir en limitant les dégâts.

AFFIRMER TOUT DE SUITE SA PRÉSENCE

Le temps est la donnée la plus difficile à gérer dans ce type d’événements. Evitez d’en perdre : les crises durant trois jours en moyenne, ce qui est dit et fait dans les premières heures est crucial pour la suite. “Il faut communiquer vite pour montrer qu’on est présent”, préconise Eric Giuily, fondateur de Clai Communications. Le silence est la plus mauvaise des options : l’entreprise fait naître le sentiment qu’elle a des choses à cacher.

“Même si l’on est incapable d’expliquer pourquoi un événement s’est produit, il faut aller sur le terrain, insiste Jean-Christophe Alquier, consul tant en communication indépendant. Quitte à admettre, dans un premier temps, qu’on ne sait pas ce qui s’est passé.” Lors qu’un train déraille à Brétigny-sur-Orge le 12 juillet 2013, le PDG de la SNCF, Guillaume Pepy est sur place dans l’heure et fait part des premières informations à sa disposition. Le 13 novembre dernier, le président de la République, François Hollande, se rend devant le Bataclan, à Paris, lieu d’un attentat sans précédent en France, alors même que l’intervention des forces de l’ordre est encore en cours.

PRENDRE EN CHARGE L’ÉMOTION

“Manifester sa compassion est essentiel, explique Yves-Paul Robert, chargé de la communication de crise chez Havas. L’entreprise doit comprendre le sens de l’émotion collective qui est en train de s’exprimer et montrer un visage humain.” Compatir avec les victimes revient à qualifier l’événement. “C’est une horreur “, a ainsi déclaré François Hollande devant les caméras à l’issue de la série d’attentats du mois dernier à Paris. Reste que la crise pose aussi, souvent, la question de la responsabilité. Savoir faire acte de contrition est une autre figure imposée.

“Clamer son innocence au cœur de la crise ne sert à rien, poursuit Yves-Paul Robert. Il faut admettre son erreur pour ensuite pouvoir reconstruire sur le fond.” Pas toujours simple de reconnaître ses torts : après le naufrage de L’Erika, en 2000, Thierry Desmarest, alors PDG de Total, s’y était refusé, arguant qu’il n’était pas responsable juridiquement. Mais en situation de crise, l’émotion prime sur le droit. “Sous-estimer la dimension émotionnelle n’est ni une bonne stratégie ni une bonne tactique à court terme, constate Jérôme Batout, spécialiste de la com de crise chez Publicis. Si les choses ne sont pas assumées, elles auront tendance à être enfouies et la langue sera tiède, très juridique, hyper prudente. L’opinion aura une impression de froideur, de distance.”

ACTIVER UNE CELLULE DE CRISE

Le rôle d’une telle structure est de centraliser la collecte d’informations et les messages qui vont être envoyés aux médias et à l’opinion. Un peu à la manière d’un état-major des armées. Elle doit être mise en place immédiatement. “Chacun y a un rôle : le directeur, le coordinateur, le porte-parole ou l’historien qui tient le livre de bord. Elle peut rassembler jusqu’à huit personnes, en lien direct avec le service communication”, explique Marc Eskenazi, responsable de la communication de crise au bureau français de Burson Marsteller, agence américaine pionnière dans ce domaine.

On évitera de multiplier les porte-parole, afin d’éviter la diffusion de messages contradictoires. Et aussi pour donner à voir un visage qui incarne la crise, notamment pour les médias les plus chauds comme les radios ou les télévisions. “En principe, il faut un porte-parole mineur et un porte-parole majeur. Un régulier et un exceptionnel. Même si l’on n’utilise pas forcément le second”, explique Jérôme Batout. “Le dirigeant d’entreprise ne doit pas forcément intervenir à chaud, indique Arnaud Dupui-Castérès, président de l’agence Vae Solis. On réserve sa parole pour l’éventualité où les choses tourneraient vraiment mal.” A noter que de plus en plus d’agences proposent différents packages, pour anticiper, mais aussi pour gérer à chaud : si la crise dure quelques jours, les tarifs varient alors de 10.000 à 40.000 euros, selon la taille de l’entreprise. Comptez beaucoup plus si la crise dure plusieurs mois.

CONSERVER LE CONTRÔLE DU RÉCIT

Les premières décisions doivent intervenir très vite, sinon l’entreprise risque de perdre le contrôle de la situation. C’est ce qui est arrivé à Volkswagen après la découverte de tricheries dans des tests d’émissions de certains de ses moteurs Diesel. “Le conseil d’administration a tardé à exiger la démission de Martin Winterkorn, le PDG, analyse Olivier Cimelière, consultant en communication. Il fallait tout de suite nommer un cabinet d’audit pour effectuer une enquête interne, mais ils ont attendu plus d’un mois.” La crise a donc évolué au rythme des révélations de la presse. Autrement dit, le constructeur a perdu la maîtrise de la narration.

“Car l’entreprise doit diffuser en continu des informations fiables qui pourront être reprises par les médias”, martèle Jean-Christophe Alquier. Et si elle manque à cette obligation, avertit Jérôme Batout, “sa parole sera assimilée à un simple bruit. Personne n’écoutera… et d’autres construiront le récit à sa place”. Mais attention à ne pas tomber dans l’excès inverse en surréagissant et en amplifiant les événements. “Evitez de commenter la crise à tort et à travers”, conseille Eric Giuily. Malgré la pression des médias, le silence s’impose entre deux prises de parole fortes. Les réseaux sociaux sont un bon thermomètre : ils permettent de prendre le pouls des réactions et de peaufiner les réponses à apporter. Mais, là aussi, la retenue est de mise et on veillera à n’y diffuser que des informations précises et soigneusement vérifiées.

CHOISIR LA BONNE STRATÉGIE

“Inutile de mentir. Tout finit aujourd’hui par se savoir. Les conséquences d’un mensonge sont toujours pires que la vérité”, rappelle Jean-Christophe Alquier. Mais on devra parfois taire des informations pour respecter une procédure judiciaire ou pour préserver des secrets industriels. “On peut ne pas tout dire si le travail de pédagogie qui donne du sens à une information n’est pas possible à ce moment-là, pointe aussi Arnaud Dupui-Castérès. Mais il faut essayer de coller au plus près de la vérité. “Exit, donc, la stratégie d’un Jérôme Cahuzac déclarant formellement ne pas posséder un compte en Suisse ! Il n’en faut pas moins élaborer une véritable stratégie de communication et fixer des objectifs clairs.

“Que voulez-vous préserver à tout prix : la réputation de l’entreprise, le produit ou le chiffre d’affaires ? Qu’êtes-vous prêt à sacrifier ? interroge Marc Eskenazi. Dans une crise, il faut toujours lâcher quelque chose. Tant que le choix n’est pas fait, la communication sera hésitante.” En 1999, quand le bruit a couru que des canettes de Coca-Cola contenaient de la listéria, la firme d’Atlanta a nié en bloc : impossible de reconnaître un quelconque danger lié à son produit emblématique. Et tant pis si les ventes ont fortement chuté ensuite !

GÉRER LE WEB ET LES RÉSEAUX SOCIAUX

Certaines entreprises préparent des dark sites, des sites Internet complets, qu’elles tiennent en réserve pour les mettre en ligne en cas de crise. Les compagnies aériennes, par exemple, en ont sur les crashs aériens. Et BP avait lancé un tel site, quelques heures seulement après l’explosion d’une de ses plateformes dans le golfe du Mexique, en 2010, avec fil d’information, témoignages, analyses de l’eau et de l’air, etc.

“Attention cependant, prévient Marc Eskenazi, le Net est à manier avec précaution. Les choses peuvent très vite se retourner contre l’entreprise.” En octobre dernier, alors que l’image de Xavier Broseta avec sa chemise arrachée avait fait le tour du monde, Air France diffusait une vidéo mettant en scène son DRH, avec des salariés très souriants, clamant leur bonheur de travailler pour la compagnie, alors que celle-ci envisageait de supprimer près de 3.000 emplois… La vidéo a été raillée par les internautes. On a vu aussi certaines entreprises intervenir sous de faux noms ou de faux profils sur les réseaux sociaux. Lorsqu’elles sont démasquées, ce qui est souvent le cas, le retour de boomerang provoque des dégâts considérables.

CLORE LE CYCLE EN FINESSE

Comment, enfin, boucler la crise ? “Les entreprises croient souvent que les choses vont se tasser d’elles-mêmes. Ou elles ont l’impression qu’en reparler va la réactiver. Mieux vaut communiquer une bonne fois pour toutes pour dire que c’est fini”, recommande Jérôme Batout. Parler avec les journalistes qui ont suivi l’affaire ou publier un document écrit peut suffire. La visite du dirigeant sur le site ou dans l’usine concernée permet aussi de clore la crise en interne. Concluons sur ce conseil d’Yves-Paul Robert : “Il faut faire des retours d’expérience sur les crises. Ce qui a marché ou pas… et pourquoi.” Une autre façon de limiter les risques.

Jérôme Batout, directeur associé chez Publicis Consultants

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L’entreprise doit s’exprimer rapidement pour communiquer des informations précises et vérifiées. Faute de quoi elle ne sera ni audible ni écoutée. D’autres concurrents, médias, victimes…- pourront alors construire le récit à sa place. Et elle perdra totalement le contrôle de la situation.”

Occuper très vite le terrain

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Dans la nuit du 13 au 14 novembre dernier, François Hollande se rend à proximité du Bataclan, à Paris, quelques instants seulement après que la BRI a donné l’assaut.

Faire acte de contrition

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A l’image de Sven Stein, vice-président de Volkswagen, s’inclinant le 28 octobre dernier devant un parterre de journalistes japonais, un responsable doit savoir exprimer ses regrets et présenter ses excuses. Une démonstration d’humilité essentielle pour tenter de faire taire les critiques.

Communiquer … mais avec sobriété

Quatre jours seulement après avoir été molesté, Xavier Broseta, le DRH d’Air France, apparaît dans une vidéo… qui va enflammer la twittosphère.

QUATRE CONSEILS POUR ANTICIPER LES CRISES

Par nature, les crises sont soudaines et inattendues. On peut toutefois prendre des dispositions pour les voir venir. Comptez de 30.000 à 50.000 euros si vous passez par une agence spécialisée.

1 Détecter les signaux faibles augurant d’un éventuel problème en adoptant un bon outil de veille sur Internet (Visibrain pour Twitter ou une simple alerte sur Google). On peut alors lancer des enquêtes en interne et se préparer.

2 Faire réaliser un audit des risques potentiels encourus par l’entreprise permet de mettre au jour ses propres failles. On forme ensuite des personnes référentes à la prise de parole sur chacun des risques identifiés, via des séances de média-training, avec des éléments de langage à la clé.

3 “Rédigez un manuel de crise pour consigner les premières réactions à avoir et les premiers messages à diffuser en fonction de scénarios types”, conseille Eric Giuily. Un outil très utile dans l’urgence, même si, selon Jean-Christophe Alquier, “un tel manuel ne couvre jamais totalement la réalité d’une crise.”

4 “Entraînez-vous une ou deux fois par an, grâce à des simulations accélérées sur une journée, avec débriefing à l’issue”, conseille Olivier Cimelière, auteur du Blog du communicant.

Avec Management