Gérald Darmanin veut rendre l’administration des Finances publiques plus «efficace». La réduction du nombre d’agents ne fait ainsi plus de doute. Mais pour Vincent Drezet, de Solidaires Finances publiques, la DGFIP est déjà en «sous-effectif».
RT France : Le 11 juillet, le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, a annoncé devant plus de 600 cadres de Bercy la réorganisation des services de la Direction générale des Finances publiques (DGFiP). Les syndicats ont-ils été conviés à cette réunion ?
Vincent Drezet (V. D.) : Les syndicats n’ont pas été conviés à cette réunion. Elle a été diffusée sur le compte Facebook du ministère… Une première. Olivier Dussopt, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Action et des Comptes publics, a également parlé ; mais son discours n’a pas été diffusé. Il a ainsi évoqué la gestion des ressources humaines avec, pour axe, l’individualisation et l’arbitraire, que ce soit sur les promotions internes, la rémunération, les affectations et la mobilité. Il a aussi précisé l’élargissement du recours au contrat. Ce discours est aussi grave sur le fond que celui de Gérald Darmanin sur l’organisation. Les deux discours font un tout. On sait comment le gouvernement entend réorganiser les services, avec une gestion plutôt inhumaine. C’est extrêmement révélateur de la logique idéologique sous-jacente.
RT France :Pourquoi évoquez-vous l’arbitraire concernant le futur recrutement, les promotions ou les affectations des agents ?
V. D.: Arbitraire parce que, par exemple, des compétences seront enlevées aux commissions administratives paritaires, ces instances de représentation des personnels qui gèrent la carrière des agents. Celles-ci garantissaient l’application d’un cadre. Sur les mutations par exemple, l’ancienneté était l’un des cadres. Cela signifiait qu’il y avait une visibilité pour tout le monde.
Tout le monde pouvait bénéficier d’une mutation selon son ancienneté. Il y avait donc une certaine équité. Là, à partir du moment où il n’y a plus ce cadre, on remet en cause la règle de gestion. Désormais, il sera affecté selon un principe : la suppression de son service. On mettra alors l’agent ailleurs et pas forcément au sein de l’administration fiscale. Cela peut être au sein d’une autre direction d’un ministère, d’une autre administration d’Etat ou dans une administration locale. Il y aura une mobilité subie et forcée des agents en fonction des réorganisations. Cela a clairement été dit le 11 juillet par Olivier Dussopt. La mobilité s’exercera dans une dimension inter-directionnelle, inter-ministérielle ou inter-fonction publique.
RT France :Au risque de menacer le cadre familial d’un agent installé sur un territoire ?
V. D.: Cela menace tout : le cadre familial, les conditions de travail et, par voie de conséquence, le service public rendu.
RT France :A vous entendre, l’un des maîtres-mots du discours a donc été «la mobilité». C’est finalement très macronien comme perspective et logique…
V. D.: Oui. Mais je répète qu’il s’agit d’une mobilité subie.
RT France :Les articles de presse évoquent également des suppressions de postes qui ne font plus aucun doute au sein de la Direction générale de la fonction publique…
V. D.: La suppression de postes, c’est absolument garanti.
RT France :Avez-vous une estimation de la baisse des effectifs puisque les discours du 11 juillet sont restés flous sur ce point ?
V. D.: Emmanuel Macron propose 50 000 suppressions de poste dans la fonction publique d’Etat. On craint environ 20 000 suppressions d’emplois dans les Finances publiques. Gérald Darmanin n’a d’ailleurs rien démenti, ni annoncé, il a renvoyé cela à après l’été. Ce que l’on craint : que ce soit 16 000 ou 22 000 suppressions d’emplois, celles-ci seront forcément importantes. Bercy [ministère de l’Economie et des Finances dont dépend la DGFIP] trinque toujours dans les réductions de postes. On voit bien le traitement politique qui a été fait le 11 juillet.
Il y a quelques semaines, le gouvernement avait dit : «Je ne sors et ne publie pas le rapport du comité action publique 2022.» Or, la première administration à laquelle on a fait des annonces : Bercy. A mon sens, cela signifie que Bercy va le plus trinquer. On en a déjà la confirmation sur les restructurations et on en aura la confirmation sur les emplois. Personne n’est dupe.
RT France :Dans une période où le gouvernement a totalement réformé l’imposition, impliquant de vastes changements comme le prélèvement à la source – confronté d’ailleurs à de premiers déboires d’organisations – en parallèle, le gouvernement veut réduire les effectifs. N’est-ce pas paradoxal ?
V. D.: Complètement ! Il a axé son discours sur le prélèvement à la source et la suppression de la taxe d’habitation. Toutefois, le prélèvement à la source ne va rien générer en terme d’économies d’emplois. Dans certains services de recouvrement, le travail va effectivement évoluer mais, à l’accueil, les agents vont avoir plus de travail et toute l’année. Car, dès que vous aurez un changement de situation familiale ou financière, vous allez venir modifier votre taux. Auparavant, cette opération se faisait sur la base de la déclaration annuelle. Désormais, elle va se faire au fil de l’eau. De ce point de vue-là, il n’y a pas de gain de productivité. Il y a simplement un changement de travail.
Concernant la taxe d’habitation, elle ne va pas être supprimée tout de suite et il va falloir gérer la «descente». Actuellement, la gestion de la taxe d’habitation mobilise l’équivalent de 2 000 emplois.
Le gouvernement a également annoncé la révision des valeurs pour la taxe foncière et de l’affectation de la taxe foncière. Le travail va, là encore, changer. Par ailleurs, il y a de nombreux autres besoins. Par exemple, le conseil aux collectivités locales concerne énormément de communes de moins de 5 000 habitants. Elles ont toujours besoin des conseils de nos agents. En effet, ces communes subissent une pression sur leurs finances locales. Aussi, quand vous constatez l’évolution de la lutte contre la fraude fiscale : il y a des besoins à la hausse qui ne sont jamais pris en compte. Il y a une forme de tromperie à faire croire des gains de productivité sur certaines missions, pour ne pas mettre l’accent sur les besoins qui augmentent.
RT France :Cela signifie-t-il que la fraude en col blanc, la fraude fiscale par exemple, sera abandonnée à cause de la baisse du nombre d’agents ?
V. D.: On serait disponible pour une discussion où l’on examinerait mission par mission l’évolution des besoins ou des gains de productivité. Mais, dans ce cas, organisons des transferts d’agents vers les services qui ont des besoins. Sur le contrôle fiscal, il faut savoir que le service est actuellement composé de 10 000 agents, ce qui est peu par rapport aux autres pays. En 2010, ils étaient 13 000. Donc, il y a eu une baisse et on nous dit qu’il n’y aura pas de renforcement des effectifs. On nous dit aussi que l’on va mettre du numérique pour aider les agents.
On a organisé l’appauvrissement et l’affaiblissement des administrations
Sauf que le numérique, sur le contrôle fiscal, n’est utile que s’il vient compléter ce qui existe déjà, et non pour le remplacer. Or, là, le numérique va remplacer une opération que l’on appelle la programmation du contrôle fiscal. Elle consiste, pour les agents dans les départements, en fonction de la réalité locale, à regarder les secteurs les plus «fraudogènes». Désormais, ce sont des listings numériques qui proviendront du national et qui s’appliqueront sur le local. Ce sera donc complètement déconnecté des réalités du terrain. Ce genre d’évolutions très fines décrédibilisent le discours du gouvernement quand celui-ci dit qu’il veut lutter contre la fraude fiscale.
RT France :L’implantation des agents au niveau local est-il si utile pour comprendre les enjeux locaux et les différentes fraudes dans les territoires ?
V. D.: Oui car la fraude n’est pas homogène. Il y a par exemple les fraudes transfrontalières avec la Suisse ou la Belgique. Il y aussi la fraude à la TVA, notamment dans les zones urbaines. Les schémas de fraudes ne sont pas les mêmes. Les opérations de data vont tout traiter et peuvent être utiles. Mais, dans ce cas, il faut qu’elles soient utilement exploitées par des agents sur le terrain qui puissent adapter des opérations de data aux réalités de terrain. Ce ne sera plus le cas.
RT France :Quand on écoute le discours d’Emmanuel Macron depuis l’élection de 2017, on a l’impression que les fonctionnaires sont trop nombreux, en sur-effectifs, notamment pour la DGFiP, d’où la suppression de près de 120 000 fonctionnaires pour 2022. Quelle est votre position là-dessus ?
V. D.: Mais on est déjà en sous-effectif ! D’ailleurs, ce constat est déjà presque acté et démontré. Cela fait longtemps, en interne, que nos directeurs généraux et nos ministres ne s’encombrent plus de justifier les suppressions d’emplois.
La véritable logique du gouvernement c’est : «qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage»
Il y a encore 10 ans, ils nous disaient qu’avec l’essor du numérique, les suppressions pouvaient être justifiées. Ce discours-là est daté et dépassé. La réalité, sur le terrain, c’est que, dans les services d’accueil et de gestion de l’impôt, les agents n’ont déjà plus les moyens de faire correctement leur boulot. La véritable logique du gouvernement c’est : «Qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage.» On a organisé l’appauvrissement et l’affaiblissement des administrations. Et le gouvernement use de ce prétexte pour poursuivre cela.
RT France :Un objectif du gouvernement serait la privatisation de certains de vos services dont, selon Mediapart, la collecte de l’impôt… Avez-vous eu des échos là-dessus ?
V. D.: Gérald Darmanin a dit : «En 2022, la DGFiP n’encaissera plus du tout du numéraire [paiement en espèces].» Or, il faut savoir que des personnes fragiles, soit parce qu’elles en ont l’habitude, soit parce qu’elles sont interdites bancaires, font de petits paiements numéraires. Pour nous, le service public doit accepter tous les modes de paiement, y compris en numéraire. Demain, ce qui va se passer – et Gérald Darmanin l’a annoncé le 11 juillet – il y aura des appels d’offres avec La Poste ou les buralistes pour gérer la collecte de l’impôt. Ils ne vont pas faire cela gratuitement ! Sur le dos de l’argent public, on va externaliser une mission. On abandonne ou on transfère certaines missions sans comprendre les causes qui font qu’on ne peut déjà plus assurer certaines missions.
RT France :L’un des principaux dangers n’est-il pas la rupture du lien entre le service public et l’usager ?
V. D.: Imaginez une personne qui arrive avec ses deux billets de 50 euros, dans un centre de service public, pour payer sa taxe d’habitation, sa taxe foncière ou un arriéré d’impôt. On lui dira : «Non, on ne vous prend pas. En revanche vous pouvez aller au bureau de tabac, en face, ou à La Poste du village d’à-côté.» Vous imaginez l’image du service public ?
Il y a tout un problème de principes, d’application, de confidentialité, cela va coûter de l’argent et il y a un problème de logique : comment le service public peut-il envisager de percevoir des sommes que d’autres, les acteurs privés, vont se charger d’encaisser ? C’est lunaire !
Avec rtfrance