Lancé depuis cinq ans, le plus grand mall d’Afrique a dû revoir son positionnement. Les boutiques de luxe laissent peu à peu la place aux enseignes à bas prix.
La scène, tout droit sortie des grandes braderies à l’américaine, est inédite au Maroc. Une marée humaine se jette sur les portes vitrées, à peine entrouvertes, du Morocco Mall. Des « shoppeurs » s’aventurent dans l’escalator à contresens, pour arriver les premiers au nouveau magasin Tati. L’enseigne française, connue pour ses produits de textile et de bazar bon marché, a inauguré le 2 septembre son premier point de vente au Maroc.
Pour l’occasion, le groupe Aksal, propriétaire du centre commercial mais aussi détenteur de la franchise, a mis le paquet : des bons d’achat de 500 dirhams (47 euros) ont été promis aux 100 premiers clients. « Face à la cohue, nous avons dû en distribuer un bon millier », nous confie un responsable du magasin, pas peu fier de la réussite de ce lancement.
Un nouveau départ pour le Mall
L’ouverture de Tati a été une renaissance pour le Morocco Mall. Le centre commercial avait subi un sérieux revers depuis la fermeture des Galeries Lafwayette, en mars. La prestigieuse enseigne française était un emblème pour le plus grand mall d’Afrique, ouvert en grande pompe le 5 décembre 2011. Pour Aksal, l’expérience n’a pas été des plus heureuses. « Le modèle économique des Galeries Lafayette bat de l’aile à travers le monde, confie Zouhair Idrissi, directeur du mall. Il consiste à gérer en propre plus de 300 corners, sans aucun appui de la maison mère ».
Après quatre ans d’une activité qui tournait au ralenti, décision a été prise de baisser le rideau de cette galerie qui s’étalait sur 10 000 m2, répartis sur trois étages. « Tout cet espace est déjà réaffecté, assure le directeur d’Aksal. Après l’ouverture de Tati et de Maisons du monde au deuxième étage, nous allons accueillir une enseigne multimarque au rez-de-chaussée et un Go Sport devrait ouvrir au troisième étage au premier trimestre 2017. Nous sommes à un taux d’occupation global qui dépasse les 90 %. »
La taille (70 000 m2 de surface commerciale) et le positionnement initial du centre commercial n’avaient guère convaincu les spécialistes du secteur, qui les jugeaient peu adaptés au pouvoir d’achat des Marocains. D’ailleurs, à l’entrée du mall, l’énorme rideau baissé de la Brioche dorée suscite quelques inquiétudes.
« Ils sont juste en rénovation, la carte a changé de mains. Et c’est la même chose pour plusieurs autres magasins fermés qui peuvent vous interpeller », explique Anas Tazi, propriétaire d’une boutique voisine d’horlogerie et de joaillerie. Créat’Heure, son enseigne, représente une dizaine de marques internationales. Elle a été parmi les premières à réserver sa place dans le centre commercial pour un ticket d’entrée d’environ 10 millions de dirhams, pour 200 m2 d’espace commercial au rez-de-chaussée.
Cinq ans plus tard, Anas Tazi est loin de regretter son investissement : « C’est un fonds de commerce qui a pris de la valeur car l’activité est plus que satisfaisante. Ici, nous touchons des touristes africains ou asiatiques qui représentent jusqu’à 10 % de notre chiffre d’affaires, ainsi que des Marocains venus d’autres villes. Notre expérience dans le Morocco Mall nous a incités à réserver dans les futurs malls à Marrakech et Tanger, mais aussi à la Marina de Casablanca », indique le directeur général de Créat’Heure.
Privilégier la clientèle de luxe
Pour rester au contact de sa clientèle « classique », Anas Tazi s’est également installé au deuxième étage du centre commercial, dans l’espace « Miraj », temple du luxe du Morocco Mall. Dans cette zone, les vitrines de Fendi, Louis Vuitton ou Dior brillent de mille feux aux côtés de celles d’autres marques marocaines. Ici, on cible une clientèle qui n’a pas peur de faire un chèque à plusieurs zéros pour s’offrir une montre ou un sac à main.
Les privilégiés arrivent généralement en voiture dans un parking privé et ont droit évidemment à un service personnalisé. Un service VIP qui est néanmoins loin de satisfaire tout le monde. « Il reste encore beaucoup d’efforts marketing à mener pour attirer davantage cette clientèle de luxe, remarque Taoufik Hezzaz, propriétaire de la griffe marocaine Kara.S, spécialisée dans les bijoux de prestige. Nous avons l’impression que la direction du mall se focalise sur des actions de mass market plutôt que sur le haut de gamme. Ce n’est pas un hasard si notre activité a baissé de moitié au cours des dernières années, comparativement aux deux premières années d’exploitation. »
Effectivement, plusieurs enseignes de luxe ont jeté l’éponge depuis l’ouverture du mall. En 2015, Prada et Miu Miu ont ainsi baissé le rideau. Mais, pour le groupe Aksal, il était hors de question de laisser cet espace commercial inoccupé : Aksal s’est alors adjugé, en propre, deux nouvelles franchises, Armani et Just Cavalli, pour les y installer.
Une des clés du succès du centre commercial repose justement sur cette capacité de ses promoteurs à maintenir les magasins ouverts, grâce à leur double casquette de développeur et de puissant groupe de retail. Les 19 franchises du portefeuille de marques du groupe Aksal sont d’ailleurs toutes présentes dans le Morocco Mall. Elles couvrent environ 20 000 m2, soit quasi le tiers de la surface commerciale globale. Parmi elles, des marques locomotives comme Zara, la Fnac ou Massimo Dutti, incontournables dans tout mall qui se respecte.
Un espace attractif
Cet atout a permis au centre commercial de tenir bon et même de s’imposer en tant que lieu de vie à Casablanca. En ce dimanche pluvieux de novembre, dans les allées du Morocco Mall, il y a d’ailleurs foule et l’on s’attend à quelque 80 000 visiteurs.
« Depuis l’ouverture, nous avons accueilli 80 millions de personnes, et ce n’est pas un hasard. Le Morocco Mall est devenu le bon plan pour faire son shopping grâce à la présence de plusieurs enseignes dans un même endroit et aux offres promotionnelles qui accompagnent les temps forts de l’année. Il a aussi émerveillé des millions de visiteurs grâce à des animations, des concerts et des shows en tout genre… », explique Zouhair Idrissi.
Parmi les attractions à succès proposées par le mall, son cinéma I-Max, son aquarium qui enregistre en moyenne 600 entrées par jour ou encore sa fontaine musicale – qui ne fonctionne pas durant la saison hivernale. Pour assurer la sécurité, l’entretien et la gestion courante de cette cité commerciale implantée sur deux hectares et comprenant trois niveaux, pas moins de 1 000 personnes sont à la tâche quotidiennement.
« Les prestations du mall se sont nettement améliorées depuis l’ouverture », assure Anas Tazi, de Créat’Heure, qui attend « avec impatience » les nouveaux malls du groupe Aksal. « C’est un modèle de gestion par rapport à ce qui se fait au Maroc », assure-t-il. Le groupe de Salwa Akhannouch devrait lancer la construction d’autres centres commerciaux en 2017, même si l’investissement de 2 milliards de dirhams que le Morocco Mall a nécessité n’a pas encore été rentabilisé.
Salwa Akhannouch, la reine des franchises
Pull & Bear, Gap, Banana Republic, Massimo Dutti, Fendi, Ralph Lauren, La Martina… Ces douze dernières années, le groupe Aksal n’a pas cessé de collectionner les franchises. Cette petite société, qui a commencé dans le revêtement et le parquet en 1993, est devenue le plus grand groupe de retail et de luxe au Maroc deux décennies plus tard. Une épopée qui a atteint son apogée avec la création du Morocco Mall, où la vingtaine d’enseignes du groupe assure une bonne partie de l’activité du centre commercial.
Salwa Akhannouch, PDG et fondatrice du groupe, a hérité de son grand-père Haj Hmad Belfqih, un des plus grands négociants de thé berbère, un sens aigu du commerce. Quant à son époux, Aziz Akhannouch, patron du premier groupe énergétique marocain (Akwa Group), il est une des plus grandes fortunes soussies du pays. Ministre de l’Agriculture depuis bientôt dix ans, il a été élu en octobre à la tête de l’un des partis politiques les plus influents du royaume, le Rassemblement national des indépendants (RNI).
C’est sans doute en raison de la surexposition politico-médiatique de son époux que Salwa Akhannouch se met en retrait depuis quelques mois. Elle qui se plaisait à paraître en couverture de magazines et à être désignée parmi les Marocaines les plus influentes par la presse internationale se fait désormais discrète.
Avec jeuneafrique