Depuis le début de cette année, l’Agence Nationale d’Appui au Développement Rural (ANADER) a introduit une nouvelle technologie dans son conseil agricole : le E-extension. M. Augustin Attoh-Yao, Directeur de l’Appui au Filières de Productions Végétale et Animale, département en charge de ce programme nous en donne les enjeux pour l’agriculture ivoirienne.
DCRP: M. Attoh Yao, Comment peut-on présenter le programme E-extension ?
L’évolution des approches de conseil agricole en Côte d’Ivoire est liée à celles de l’environnement du conseil agricole et de la perception même de celui-ci. Du point de vue conceptuel, la notion et les fonctions du conseil agricole ne se limitent plus désormais à la production mais elles intègrent les autres maillons de la chaîne de valeur des filières agricoles situés en amont et en aval (services d’intrants agricoles, transformation, commercialisation, etc.) ainsi que des enjeux majeurs du développement.
En Côte d’Ivoire, ces enjeux sont actuellement d’ordre environnemental, social et d’éthique : changements climatiques, préservation de l’environnement, réduction des risques, nutrition, lutte contre les pires formes de travail des enfants, lutte contre les inégalités basées sur le genre, lutte contre les pandémies (VIH/SIDA, paludisme), etc. On note également une évolution de la demande de services de conseil agricole impulsée par la forte dynamique de développement et de consolidation des filières agricoles observée depuis la relance de l’activité agricole au terme de la crise militaro-politique traversée par le pays de 1999 à 2011.
Dans ce contexte et pour faire face à tous ces enjeux et défis, l’ANADER se trouve dans le besoin d’adapter ses méthodes et outils classiques et/ou d’adopter de nouvelles méthodes alternatives ou complémentaires de conseil agricole qui lui permettraient d’accroitre son efficience globale et de répondre en temps réel aux besoins d’accompagnement des acteurs des filières agricoles.
Dans le même temps, l’on constate que la téléphonie mobile connaît un développement fulgurant en Côte d’Ivoire et les technologies mobiles sont de plus en plus adoptées comme technologies de choix pour fournir des services en TIC.
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Afin de tirer avantage de cette dynamique, l’ANADER a pris l’option en 2013 d’introduire la vulgarisation agricole électronique (e-extension) dans sa démarche globale d’intervention avec l’accompagnement technique et financier de la Banque Mondiale à travers le PPAAO/WAAPP dont le FIRCA assure la coordination technique et fiduciaire. Elle bénéficie dans ce contexte de l’appui technologique de PREP EEZ, un opérateur basé au Ghana et qui a une certaine compétence dans ce domaine.
La phase pilote du projet a concerné 15 zones ANADER dans lesquelles les plates formes multi-acteurs initiées dans le cadre du PPAAO/WAAPP 1-B étaient les plus dynamiques (Abidjan, Adzopé, Tiassalé, Dabou, Agboville, Gagnoa, Daloa, vavoua, Bouaflé, San-pédro, Abengourou, Agnibilékrou, Daoukro, Bongouanou et Sinfra.
Au cours de cette phase, entre autres actions, environ 18 000 producteurs ont été enregistrés dans le système pour en être bénéficiaires à titre expérimental. En outre, les messages techniques à diffuser sur le serveur vocal concernaient six filières de productions végétales et animales (banane plantain, manioc, riz pluvial, riz irrigué, maïs, aviculture traditionnelle, porc) ainsi que sept (7) langues locales et la langue française qui sont intégrées dans le système (la Côte d’Ivoire compterait près de soixante-dix (70) langues locales).
Depuis le début de l’année 2016, le système a été ouvert à tout le territoire ivoirien mais fonctionne pour le moment avec les mêmes filières et les mêmes langues. Le centre d’appel est accessible par deux (2) numéros : un numéro court utilisable par les personnes abonnées chez l’opérateur de téléphonie mobile partenaire du système et un (1) numéro long pour les abonnés aux autres réseaux de téléphonie.
“Tout producteur disposant d’un téléphone cellulaire peut appeler le serveur vocal à un numéro d’accès (451 pour les abonnés au réseau de téléphonie MTN)”
DCRP: Comment se positionne- il, relativement au conseil agricole classique ?
Il faut lever toute équivoque : le système e-extension n’est pas une alternative au système classique de vulgarisation basé sur le contact direct entre le vulgarisateur et le producteur, mais il en est un complément utile contribuant à améliorer l’efficacité globale du dispositif de conseil agricole.
De ce point de vue, le système e-extension est destiné à offrir de nombreux services dont les principaux sont :
– la collecte d’informations dans les exploitations agricoles (apparition de maladies, de stress, disponibilité de matériel de (re) production et d’autres intrants agricoles, lieux d’approvisionnement, prix, quantités disponibles, etc.);
– la production de données statistiques sur les productions agricoles;
– la mise en place de base de données des producteurs (informations détaillées sur les producteurs et leurs parcelles);
– la gestion d’alertes en temps réel;
– la diffusion de messages techniques aux producteurs;
– l’information et la sensibilisation des exploitants sur divers sujets (changements climatiques, calendrier agricole, etc.).
DCRP: De façon concrète, comment ce projet fonctionne –t-il sur le terrain?
La fonctionnalité du système requiert deux composantes techniques essentielles:
(i) la construction de l’infrastructure informatique de base (ii) la définition et l’intégration de services de conseil agricole à fournir à travers le système e-extension. Le système en fonctionnement à l’ANADER repose sur quatre instruments principaux : (i) le serveur vocal à réponse interactive, (ii) le laboratoire électronique (e-lab), (iii) le centre d’appel (call center) et (iv) le réseau d’experts.
Le serveur vocal est un outil permettant d’animer un dialogue homme-machine au moyen de messages prédéfinis, enregistrés dans différentes langues locales et intégrés dans le serveur. Tout producteur disposant d’un téléphone cellulaire peut appeler le serveur vocal à un numéro d’accès (451 pour les abonnés au réseau de téléphonie MTN) et écouter les réponses en rapport avec sa préoccupation. Le serveur vocal de l’ANADER est fonctionnel 24h/24 et 7 jours/7.
Le centre d’appel comprend des postes de travail téléphoniques tenus par des agents appelés « téléopérateurs ». Ceux-ci sont chargés de traiter les appels dans les différentes langues intégrées dans le système. Ils répondent aux requêtes des appelants en temps réel, enregistrent les requêtes non satisfaites, rappellent l’appelant dès qu’ils sont en mesure d’apporter une solution satisfaisante à sa requête. Le centre d’appel est accessible par deux (2) numéros : un numéro court (744) utilisable par les personnes abonnées chez MTN, l’opérateur de téléphonie mobile partenaire du système et un (1) numéro long (21 00 47 44) pour les abonnés aux autres réseaux de téléphonie.
Le « E-Lab » est un laboratoire électronique virtuel permettant d’enregistrer, d’analyser et de traiter les alertes ou les préoccupations exprimées par les producteurs. Cet outil utilise pour ce faire un portail web (plateforme électronique offrant de nombreux services) et des applications pour smartphone à l’usage des vulgarisateurs et servant à collecter les données de terrain et à les acheminer au portail.
Le réseau d’experts comprend des personnes ressources (chercheurs, vulgarisateurs, etc.) ayant une expertise avérée dans les filières agricoles et qui sont consultées en cas de besoin pour apporter les réponses appropriées aux requêtes des producteurs non satisfaites au niveau du centre d’appel.
En ce qui concerne la gestion du système, il faut noter que le fonctionnement du système requiert à la fois des connaissances informatiques pour la conception, l’installation, la configuration et l’administration de l’infrastructure informatique et des compétences en vulgarisation agricole et en développement de filières agricoles pour la fourniture de services de conseil agricole (définitions des messages techniques intégrés au serveur, réponses appropriées aux requêtes des acteurs des filières agricoles, etc.).
Grâce à l’étendue et à la diversité de son domaine de compétence, l’ANADER a pu mettre en place en son sein une équipe pluridisciplinaire composée d’informaticiens et de vulgarisateurs chargée d’animer le système au quotidien. Cette équipe est supervisée par un comité de suivi composé de directeurs techniques de la société et présidé par le Directeur Général-Adjoint.
DCRP: Quel sera l’impact de cette technologie sur les activités des producteurs ?
Le système e-extension a été implanté au sein de l’ANADER avec pour objectif de faciliter l’accès des acteurs du milieu rural aux informations et technologies nécessaires à l’amélioration de leur performance par l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC).
Ainsi, il a vocation à avoir un impact à la fois sur les activités de conseil agricole menées par l’ANADER et sur les activités des acteurs des filières agricoles.
Son impact sur l’ANADER devrait se traduire par l’amélioration de la performance globale de celle-ci grâce au développement de sa capacité à toucher un plus grand nombre d’acteurs ruraux en temps réel et à moindre coût (accroissement de l’efficience de la vulgarisation, amélioration du ratio de vulgarisation).
Son impact prévisible sur les acteurs ruraux est reflété dans le rapport sur le développement dans le monde publié en 2016 par la Banque mondiale qui met en lumière l’impact transformationnel potentiel que les TIC peuvent apporter aux communautés rurales grâce à:( i) l’amélioration de la productivité agricole; (ii) le renforcement de l’accès des agriculteurs aux marchés (y compris la diffusion de l’information sur le marché et le transport des marchandises) et iii) la promotion des technologies propres pour une agriculture durable.
Avec Agrici