Grâce au fort taux d’équipement en téléphones portables, les achats sur Internet se développent très vite en Côte d’Ivoire.
Parfaite quitte son bureau quelques instants pour chercher un colis dans le hall de la cité financière d’Abidjan. En bas, l’attend un livreur avec la paire de chaussures et le smartphone commandés sur Internet quelques jours plus tôt. Parfaite essaie les chaussures, déballe l’appareil et, satisfaite, règle 83 000 francs CFA (127 €) d’achats en cash.
Commandez en ligne, payez en liquide à la livraison : bienvenue dans le monde du e-commerce africain. « C’est pratique ! », lance cette fonctionnaire du trésor de 28 ans. « Je travaille toute la journée, je n’ai pas le temps de faire les courses. Alors chaque jour, je vais sur le site Jumia.ci et je regarde s’il y a des offres intéressantes, comme si je faisais les boutiques. »
Lancé il y a deux ans en Côte d’Ivoire, ce site se targue déjà d’enregistrer 1 000 à 2 000 commandes par jour et un demi-million de visiteurs uniques par mois. Le site promet de livrer dans un délai de cinq jours et propose une large gamme de produits : vêtements, téléphones, électroménager, meubles…
La confiance, un défi
« On veut bien vendre tout ce qui se vend. Notre but, c’est d’être une sorte d’Amazon », explique Francis Dufay, le directeur pays, dans les bureaux de Jumia au sud d’Abidjan. « On a réussi à lancer la machine : dès qu’on a passé la barrière de la confiance, quand les gens essaient et se rendent compte que ça marche, c’est parti ! »
Acquérir la confiance des Internautes dans un pays reconnu pour ses « brouteurs » – ces spécialistes des arnaques du Web – est une gageure. Alors Jumia communique : ses publicités s’affichent en grand aux carrefours et grands boulevards d’Abidjan.
Ce manque de confiance explique aussi que le paiement ne s’effectue pas en ligne. Outre le faible taux de bancarisation en Côte d’Ivoire – il est encore à moins de 15 % –, le paiement par carte bleue fait peur, ici, à tout le monde. Notamment aux banques : aucune ne propose une plate-forme technique pour ce type de service.
Le géant AIG
Fondé il y a trois ans, d’abord au Nigeria, Jumia appartient à Africa Internet Group (AIG), filiale de l’allemand Rocket Internet, connu pour avoir adapté des sites d’e-commerce en Amérique latine et en Asie.
AIG opère aujourd’hui dans 26 pays africains sur une dizaine de plates-formes – Hellofood pour les restaurants, Carmudi pour les voitures, Jovago pour les hôtels, etc. Jumia opère depuis peu au Sénégal, au Ghana, au Cameroun…
En Côte d’Ivoire, le marché de l’e-commerce est « très demandeur », se réjouit Francis Dufay évoquant une croissance « exponentielle » de son chiffre d’affaires. Le site, qui compte 330 employés contre 50 un an plus tôt, mise sur l’éclosion de la classe moyenne ivoirienne et une clientèle jeune, entre 25 et 40 ans.
« On est un pays jeune. Les gens sont de plus en plus connectés à Internet, notamment sur leur téléphone », analyse Édith Brou, célèbre blogueuse et digital manager. « L’Ivoirien moyen commence à s’habituer à faire ses achats en ligne », dit-elle.
Tout le monde a un téléphone portable
En Côte d’Ivoire, tout le monde, ou presque, a un téléphone portable, et le marché des smartphones est en pleine croissance.
Il faut dire que, dans une ville tentaculaire de 6 millions d’habitants comme Abidjan, souvent embouteillée et avec un réseau de magasins physiques encore faible – quoique en plein bouleversement –, l’e-commerce simplifie la vie.
Cela attire la concurrence. Outre Jumia, au moins une dizaine de sites d’e-commerce en ligne opèrent actuellement en Côte d’Ivoire : des sites de niche (électronique, mode) et des grands groupes internationaux.
Ainsi, la start-up Wasiri propose des vêtements en provenance d’Europe et de designers locaux. « Certains designers veulent faire du prêt-à-porter, mais une boutique coûte cher », explique Tya Meyer, à la tête de Wasiri. Le site, à la recherche d’investisseurs, enregistre une dizaine de commandes par jour.
Cdiscount s’installe en Côte d’Ivoire
Avec plus de moyens, le groupe français Casino a lancé l’année dernière, en partenariat avec Bolloré, une version ivoirienne de Cdiscount.
Le modèle est différent de Jumia : Cdiscount propose des produits qui viennent de France, avec un petit stock à Abidjan, alors que Jumia travaille avec des fournisseurs locaux. Les délais sont donc souvent plus longs.
« L’e-commerce, c’est le nouvel eldorado des affaires ! », s’émerveille Cheick Omar Guira, directeur commercial de Cdiscount. Et son développement, dit-il, devra passer par le mobile banking – le paiement par téléphone qui permet déjà de régler ses factures d’eau et d’électricité.
Jumia et Cdiscount proposent ce service, plus simple à gérer que le paiement en liquide, et encouragent leurs clients à l’utiliser.
OLIVIER MONNIER | LACROIX.COM